Pourquoi la mèche brûle-t-elle entre Hamadi Jebali, secrétaire général d'Ennahdha, et les Bouzidis ? Qu'a-t-il déclaré au juste pour provoquer un tel climat de haine et de chaos avec le déclenchement hier de plusieurs incendies, des saccages de bâtiments publics et d'une grève générale accompagnée d'une méga-manifestation dans la ville de Bouazizi ? Mouvement spontané ou action fomentée par des forces «occultes» ? Contrairement à ce qui a été rapporté par plusieurs médias étrangers, la vague de colère à Sidi Bouzid n'a pas été provoquée par l'invalidation des listes de la Pétition populaire par l'Isie, avant-hier soir. Listes présidées par Hachemi Hamdi, fondateur de la chaîne de télé Al Mustakella et originaire de la ville, d'où est partie la première étincelle de la Révolution tunisienne. Les manifestations ont commencé dès mercredi matin en réaction, nous ont affirmé de nombreux Bouzidis contactés, à des propos injurieux qu'aurait proférés Hamadi Jebali, numéro deux du parti Ennahdha, à l'encontre de la population. «Incultes», «primitifs», «affamés», «idiots» ...la liste des insultes qu'aurait adressées le favori au poste du prochain chef du gouvernement sur le plateau « d'Hannibal TV», précisent plusieurs de nos sources, à tous ceux qui ont voté massivement pour les listes d'Al Aridha s'allonge encore et encore. Or après de longues et minutieuses vérifications, pas une trace de déclarations de ce type faite par Hamadi Jebali n'a été enregistrée sur aucun plateau de télé. Seul moment passible de plusieurs interprétations selon que l'on soit fervent sympathisant de Hachemi Hamdi ou le contraire remonte au mardi 25 octobre. Le matin sur les chaînes de la radio Express FM, H. Jebali était l'invité d'Imen Bahroun. Au cours de l'émission, le directeur d'Al Mustakella basée à Londres intervient et tente une politique de la main tendue vers ce dirigeant du parti islamiste. Silence total de l'autre côté du studio perçu par les troupes de Hamdi comme un dénigrement. L'animatrice réitère la question : «Ennahdha compte-t-elle s'allier avec Al Aridha lors de l'installation de l'Assemblée constituante ?». La réponse vient incisive, tranchante, tel un couperet : «Nous n'établirons de coalition qu'avec ceux qui ont lutté contre Ben Ali». Y aurait-il RCD sous roche ? Le soir même via sa télévision, Hachemi Hamdi ne cache pas son humiliation et s'adresse directement à la population de Sidi Bouzid et de Kairouan : «Je ne retournerai pas au pays tant que Jebali sera au pouvoir. Il a démontré aujourd'hui une telle haine envers moi comparable au poids de l'Himalaya». Et puis encore : «Ecoutez-moi vous gens de Kairouan, je sais que vous m'appellerez tout à l'heure pour me demander de revenir quitte à ramper sur l'aéroport et même en direction du Premier ministère». Hachmi Hamdi et ses discours enflammés d'éternelle victime ont semé les graines du mouvement de contestation, qui a évolué crescendo à Sidi Bouzid notamment avec l'annulation des six listes de la Pétition populaire lors de la proclamation des résultats officiels des élections, jusqu'à atteindre son paroxysme hier toute la journée, et ce, jusqu'au moment du couvre feu. Des tracts à propos de la grève générale destinés au «Peuple libre de Sidi Bouzid» ont été distribués l'après-midi dans les rues de la ville. Ils dénoncent «la campagne de dénigrement menée par les élites politiques et les médias nationaux dont certains nous ont qualifiés d'ignares et de bergers. Ils n'ont pas arrêté d'autre part de dévaloriser les habitants de Sidi Bouzid grâce auxquels pourtant ils ont réussi à occuper les avant-postes et à réintégrer la Tunisie après une longue période d'exil et de persécutions». Toutefois, aucune signature n'apparaît en bas de la page : l'auteur du tract reste anonyme. «Chose étrange. Pendant la Révolution du 17 décembre nous connaissions la source des documents qui servaient à mobiliser les citoyens contre la police de Ben Ali. L'Ugtt a joué, signé et assumé ce rôle», témoigne Naceur Hamdouni, observateur local du scrutin du 23 octobre et militant des droits de l'homme. Le jeune homme assure que les opérations de saccages de la matinée semblaient organisées : «On a procédé selon un plan prémédité : commencer par le tribunal, puis passer à la municipalité, puis enchaîner sur le Centre de formation professionnelle, le poste de police...». Tout porte à croire que les contre-révolutionnaires et plus précisément les armées fantômes de l'ex RCD ont ressorti leurs armes de destruction massive, la rumeur, l'intox, l'hypocrisie, la démagogie, la discorde, la déstabilisation. Ceux-là mêmes qui, alimentant les sentiments d'injustice et d'oppression toujours perceptibles à Sidi Bouzid, ont appelé à voter dans le secret et la clandestinité les plus absolus pour Hachemi Hamdi, «le fils de la région» devenu son porte-drapeau uniquement trois jours avant le rendez-vous électoral. Le feu couvait déjà dans la ville oubliée de l'histoire et du développement et dont les différents gouvernements transitoires de ces neuf derniers mois n'ont pas réussi à améliorer le sort, la qualité de la vie ni de redonner espoir à ses habitants souffrant toujours du taux de chômage des jeunes diplômés exceptionnellement élevés (40%). Aujourd'hui un sentiment anti-Nahdha prévaut à Sidi Bouzid même parmi ceux qui ont voté pour le parti islamiste. Les slogans contre Ghannouchi et Jebali ont été scandés le long de la journée. Le nouveau gouvernement qui sera installé dans une dizaine de jours arrivera-t-il à éteindre les feux de la colère d'une population qui se sent quelque part aujourd'hui trahie dans «sa» Révolution ? ------------------------------------------------------------------------ «Des applaudissements déplacés» Rachid Fetini, notable respecté à Sidi Bouzid, s'interroge : pourquoi le public assistant à la conférence de presse de l'Isie a-t-il unanimement applaudi au moment où l'un des membres de l'Instance de Kamel Jendoubi a annoncé avant-hier l'invalidation des listes de Hachemi Hamdi ? On comptait une majorité de journalistes dans la salle. Leurs qualités premières ne sont-elles pas l'indépendance, l'impartialité et la neutralité? Comment peuvent-ils alors prendre à partie de cette façon Hachemi Hamdi comme s'il était devenu l'ennemi public numéro un ?