Il y a exactement un mois, le peuple tunisien scandait dans les rues de Tunis «Khobz ou maâ ou Ben Ali laa». Aujourd'hui, plus de quatre semaines après, Ben Ali est parti et le peuple demande toujours et chaque jour un peu plus…On a l'impression qu'il est toujours en léthargie, qu'il ne s'est pas rendu compte de l'importance de ce qu'il a obtenu et qu'il ne réalise pas que Ben Ali est parti. Dans l'allégresse générale, nous avons été scotchés à nos écrans de télé pour constater ce que la famille mafieuse nous avait pris, et ce que nous avons réussi à reprendre. Puis, toujours dans l'allégresse, nous avons assisté à la constitution du premier gouvernement provisoire, qu'on a démis, réussissant de nouveau à éloigner le RCD du pouvoir, et contribué à asseoir un nouveau gouvernement plus apte à conduire le pays vers des élections présidentielles et législatives afin de construire une Tunisie moderne plus conforme à nos aspirations. Et ce n'est pas peu dire que d'avoir réussi deux grands défis aussi grands l'un que l'autre en si peu de temps et avec autant de responsabilité, de maturité et de sagesse. Nos ambitions et nos objectifs ont été les mêmes, à savoir se relever et remarcher d'un pas plus décidé et plus sûr vers un avenir meilleur sans ralentir la vie économique. Les médias, après un demi-siècle de censure, se sont libérés et nous avons assisté à une déferlante démocratique, d'aveux, de dénonciations, de témoignages plus émouvants les uns que les autres. Nous avons été surpris d'assister aux premières grèves dans différents secteurs soit commanditées par l'Ugtt soit spontanément ! La grève des transports dans le Grand-Tunis détient le malheureux palmarès de précocité. Nous nous sommes tous levés pour circonscrire le mouvement et expliquer que l'état actuel des choses ne permet pas encore de faire des grèves, que le pays est en train de panser ses plaies et que de graves défis nous attendent. Notre appel n'a pas été entendu et les enseignants puis la police puis le personnel de différents ministères ont suivi dans un mouvement aussi violent et soutenu que pendant la révolution. A-t-on la mémoire aussi courte ? Avons-nous oublié «khobz ou maâ…» ? Ben Ali est parti et déjà nous ne voulons plus du «khobz ou maâ». Nous nous sommes tous levés pour dire que leurs demandes sont totalement légitimes et que tout le peuple a été lésé et qu'on ne peut pas tous se mettre en grève. Nous sommes en face d'un gouvernement provisoire qui va gérer les affaires courantes et empêcher le pays de sombrer dans le chaos en attendant les élections dans six mois. Dans la démocratie à laquelle nous aspirons, on discute d'abord et si on ne trouve pas un terrain d'entente, on fait la grève. On a l'impression que personne n'écoute personne et que le message, pourtant simple, n'est pas compris… On se pose alors la question : qui pousse à la grève? Est-ce que c'est spontané ou une course au pouvoir ou des forces occultes qui veulent nuire au pays ?… Pour corser un peu plus le climat social, les différentes chaînes de télé, assoiffées de liberté d'expression, et en couvrant les événements qui secouent le pays ont cherché beaucoup plus le sensationnel que le vrai reflet du désarroi de la population. On a eu droit à des reportages dignes des films de guerre avec des scènes apocalyptiques, avant de s'assurer de la véracité des faits, puis des témoignages qui démentent ces mêmes scènes disant comme aujourd'hui mercredi 9 février que la Garde nationale de Hichria a été en fait attaquée par des habitants qui, pour faire venir une équipe de télé, ont décidé de brûler le poste de la Garde nationale et voler des armes. Le chef de région, dans un geste de bravoure, cache les armes chez lui. L'armée intervient, une équipe de télé se rend sur place et le chef de zone est arrêté avant d'être relâché deux jours après… Arrêtez, arrêtez, arrêtez ce climat de guerre. Je ne nie pas la misère de certaines régions qui ont été jusque-là oubliées, mais je demande un peu plus de réalisme et de professionnalisme chez nos amis journalistes. Je demande solennellement aux médias, télés et radios de reprendre leurs programmes habituels comme avant la révolution, de ne plus diffuser n'importe quoi avant de s'assurer de leur véracité, il y va de leur crédibilité, il n'y a pas de choléra transmis par la pollution de l'air entre autres… J'invite les médias à assurer un rôle constructif dans la Tunisie nouvelle, à aller enquêter sur les innombrables projets agricoles financés par l'Etat et qui sont presqu'abandonnés pour mauvaise gestion et à inviter les habitants à y travailler. Je propose au gouvernement, par ma petite voix, d'offrir à ces sans-emploi, chacun dans sa région, la possibilité de travailler dans des chantiers étatiques pour reconstruire les prisons, les postes de police et autres bâtiments publics saccagés pendant la révolution. J'invite tous mes concitoyens à cesser leur mouvement de grève, il n'y a pas une seule corporation qui n'ait été lésée par l'ancien régime. C'est par devoir citoyen, pour garantir l'avenir de nos enfants, pour sauver la Tunisie qu'on doit reprendre le travail. Comme a écrit Paulo Coelho, il faut un temps pour déchirer et un temps pour coudre. Nous avons suffisamment déchiré, je pense qu'il faut se mettre à coudre, et vive la Tunisie démocratique. K.M.