Par Soufiane BEN FARHAT Les temps changent. Et, avec eux, dans leur sillage, allais-je dire, les fortunes. Les voies du destin sont par moments lunatiques. Avant-hier, la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (Ltdh) a demandé au président de la République par intérim «de ne pas signer le décret d'extradition de Baghdadi Mahmoudi». L'ancien Premier ministre du régime libyen déchu a fait l'objet d'une demande d'extradition de la part des nouvelles autorités libyennes. La Ltdh craint «l'exécution de Mahmoudi et sa privation, dans les conditions actuelles que vit la Libye, d'un procès équitable offrant des garanties liées aux droits de défense». A l'entendre, la décision de la Cour d'appel de Tunis de livrer Mahmoudi «est contraire à la Déclaration universelle des droits de l'Homme, aux pactes internationaux et aux conventions bilatérales conclues entre la Tunisie et la Libye ainsi qu'aux dispositions de l'article 313 du code de procédure pénale qui interdit l'extradition de toute personne pour des crimes ou délits à caractère politique ou que l'extradition est demandée dans un but politique». Baghdadi Mahmoudi a été arrêté avec deux de ses compagnons, le 22 septembre dernier, dans le Sud, alors qu'il tentait de s'infiltrer en territoire algérien. Les observateurs observent. Les commentateurs suivent avec intérêt. Qui aura raison de quoi ? Le droit ou la raison d'Etat ? En fait, un événement, peut-être fortuit, a jeté de l'ombre sur cette histoire finalement scabreuse à plus d'un titre. L'avocat de Baghdadi Mahmoudi, Tijani Amara, a déclaré, il y a deux jours, que la décision de remettre son client aux autorités libyennes est un contrat lié aux intérêts politiques et économiques, «surtout que le ministre de la Reconstruction libyen est en Tunisie», avait-il fait valoir. Le conseiller auprès du ministre libyen de la Reconstruction, Ghazi Maâla, ne l'entend pas ainsi. Il a cependant confirmé, sur les ondes de la radio Shems FM, la visite du ministre de la Reconstruction libyen en Tunisie. Selon lui, cette visite serait purement familiale et non point pour conclure un accord pour l'extradition de l'ancien Premier ministre libyen. La coïncidence demeure toutefois troublante. On imagine mal un ministre libyen s'abandonnant entièrement aux plaisirs du mouton de l'Aïd et du coup, apolitique, le temps d'une fête religieuse. D'ailleurs, ledit ministre est bien passé sur un plateau de télévision la veille. Et non point pour parler de qaddid. Au-delà de l'incident proprement dit, la question de la raison d'Etat se pose aujourd'hui avec acuité. Que dis-je, les raisons d'Etats. A l'instar de tous ses pairs, la Révolution tunisienne intéresse les parties étrangères comme le paratonnerre appelle la foudre. Qui interfère, qui infléchit, exorcise ou légifère, qui se taille une zone d'influence par-ci, qui avance ses pions sur l'échiquier par-là. Bref, c'est la curée. Même des Etats en perpétuelle instance de constitution ou de décomposition s'y mettent. Ôte-toi que je m'y mette ! Cela devient troublant. On a l'impression que certains Etats, forts d'un pactole financier légendaire, veuillent imposer leur agenda. Certains se sont avisés de transformer la vie politique tunisienne en une somme d'intérêts privés, moyennant des relais locaux. Pourtant, à décortiquer les desseins de certains Etats, on conclut à l'éternelle ronde de la mort et du négoce telle que décriée par Joseph Conrad. Les immixtions dans les affaires irakiennes, afghanes ou libyennes, on en connaît les désastreux résultats. Et puis, à bien y voir, charité bien ordonnée commence par soi-même. Parce qu'on a parfois affaire à des pays végétant encore dans les affres du semi-féodalisme économique, tribal et politique. Lesquels s'avisent de s'immiscer dans les affaires intérieures de la République tunisienne au lendemain de sa glorieuse Révolution. Encore une fois, hélas, le mort s'avise de saisir le vif.