Par Tijani MAKNI* Après une campagne électorale plutôt morose et ternie par les interventions peu convaincantes des candidats à la radio, à la télévision ou dans les meetings, les résultats sont venus confirmer Ennahdha au premier rang des partis politiques et établir une nouvelle carte politique du pays, d'où un changement total sur la scène parlementaire et gouvernementale. On savait à l'avance qu'Ennahdha serait en tête du peloton. S'agissant d'un mouvement qui existe depuis belle lurette, un mouvement structuré pour lequel le côté matériel ne pose pas problème, il est normal qu'il atteigne aisément les objectifs qu'il s'assigne. La tâche lui a été facilitée par la dissolution arbitraire d'un RCD qui aurait pu être assaini, changer de nom et de direction en quelques semaines, si les rescapés du Bureau politique et du Comité central avaient un peu plus le sens de la responsabilité et du devoir partisan. Si on ajoute à cela les nombreuses irrégularités commises à l'intérieur et à l'extérieur des bureaux de vote, ainsi que le nombre imposant et énigmatique des bulletins nuls (quelque 8.000 à Gabès), on comprend mieux le pourquoi du carton infligé par les islamistes à leurs adversaires. En guise de commentaire, qu'on se rappelle ce que Corneille disait dans Le Cid: «A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire». C'est vrai, les destouriens authentiques étaient présents dans la compétition par l'intermédiaire de nombreuses petites formations nées après le 14 janvier. Ces formations, d'obédience bourguibienne pour la plupart, ne sont pas encore complètement structurées et leur organisation demeure encore fragile. Malgré cela, elles se sont aventurées à présenter des listes aux élections, alors qu'elles n'étaient pas solidement implantées dans les gouvernorats et encore moins dans les délégations. C'est dire qu'elles n'avaient même pas eu le temps de mobiliser la masse destourienne désorientée, ni d'aller à l'écoute des jeunes et dialoguer avec eux. Pire, dans une situation qui ne leur était pas favorable, les partis destouriens en compétition pour la Constituante, sans véritable assise populaire, ne sont arrivés que rarement à former des listes communes pour faire entendre leurs voix. Ils se sont donc présentés en rangs dispersés, et leurs voix éparpillées entre les multiples partis destouriens et non destouriens ont certainement profité à Ennahdha également. Seule l'«Initiative» avec 5 élus s'en est sortie relativement à bon compte. Les élections ont donc procédé à un premier filtre des partis en mesure de poursuivre normalement leur chemin parmi lesquels malheureusement ne figurent pas les formations destouriennes. Celles-ci doivent à présent méditer sur leur sort et tirer la leçon de cette consultation électorale. Pour elles, de deux choses l'une : se regrouper ou disparaître, aucune d'entre elles ne pouvant prétendre, à la fin de la deuxième période transitoire, assurer la relève et représenter l'alternative. Ce sont en effet des formations encore jeunes, sans expérience (du pluralisme au moins) peut-être même sans ressources, et sûrement sans grande foule derrière elles. Leurs objectifs étant de protéger les acquis de la nation, de défendre la souveraineté du peuple et de poursuivre l'œuvre que Bourguiba n'a pas eu le temps d'achever, seule la fusion entre elles est en mesure de les conduire à bon port. Ce à quoi on doit désormais penser, c'est d'avoir une opposition à même, non seulement de contrôler de près l'action gouvernementale, mais aussi de véhiculer et diffuser les orientations et opinions des destouriens, soit une formation solide et populaire que les autres composantes politiques ne manqueront pas de prendre en compte. A défaut, les destouriens authentiques resteront orphelins, eux qui, en discordance avec le RCD 23 ans durant, ou n'ayant pas trouvé dans ce dernier les valeurs pour lesquelles ils veulent militer, cherchent à se regrouper pour un avenir meilleur. Généralement, dans les régimes démocratiques, il y a au moins deux grandes formations politiques, mais pas de parti dominant et encore moins majoritaire. Au vu des résultats des élections, Ettakatol pourrait, avec d'autres partis, représenter demain une alternative crédible, n'eut été son adhésion et son entrée au gouvernement d'Ennahdha, ce qui prive l'opposition politique dans le pays d'une réelle consistance. Ce comportement d'Ettakatol doit davantage stimuler et encourager les destouriens à s'unir autour d'une grande formation qui constituera une force capable de contrer Ennahdha et le CPR le moment opportun. L'heure est donc à la réflexion sérieuse d'une force à même de propulser les destouriens à l'avant-garde des partis, à la condition d'oublier les animosités, différer les ambitions, considérer l'intérêt général exclusivement et agir avec célérité, car demain, il sera peut-être trop tard.