Par Abdelhamid GMATI Formidable, cette première session de l'Assemblée nationale constituante issue du premier scrutin du 23 octobre 2011, réellement libre et indépendant de la Tunisie. Et que de «premières». Beaucoup d'émotions, de sympathie, d'indulgence et de fierté. On mesure aussi le travail qui a été fait pour bien organiser cette session. Même l'amateurisme de tous ces élus, qui n'en croyaient pas leurs yeux de se trouver dans cette enceinte, jusque-là lointaine et pratiquement inaccessible sauf pour des privilégiés, était touchant. Et ils faisaient leurs premiers essais, osant, sans trop y croire, prendre la parole, faire des propositions («même si elles ne sont pas retenues»), et voter. Le tout dans une atmosphère bon enfant. Ce qui a fait dire au président de cette session, lui aussi novice, de constater que tout est plus plaisant lorsque cela se passe en s'amusant au lieu de s'affronter. Le Congrès s'est amusé. Même si certains étaient déçus de voir toutes ces femmes, se cachant sous des voiles et des habits uniformes et de ces hommes mal rasés, pas très nets. Heureusement il y avait aussi des femmes et des hommes de la Tunisie nouvelle, celle que l'on connaît, riche de 3.000 ans de civilisations et de cultures. Une séance haute en couleur. Retransmise en direct par nos deux chaînes privées et par la Watanya. Encore une première. Même à l'extérieur du Palais du Bardo, des manifestants sont venus rappeler aux élus leurs engagements. Une autre première. Le soir, les chaînes de télé proposaient des débats avec des participants à la session et des observateurs. Toujours une première. Les trois partis qui ont eu le plus de suffrages aux élections nous ont proposé un programme «clés en main», se répartissant le pouvoir. Soit. Il ne faudrait pas, cependant, qu'ils oublient qu'ils ne représentent qu'une minorité du peuple tunisien. Les partis «minoritaires» ont voulu souligner cette donnée. Ainsi, à l'élection du président de la Constituante, Madame Maya Jribi s'est présentée contre le candidat du triumvirat. Histoire de rappeler qu'il ne sera jamais question de dictature d'une coalition. Et que l'opposition est prête à assumer ses responsabilités. Ce qui est déjà une première. Contrairement au régime dictatorial qui faisait taire toutes les velléités, y compris de présenter un autre candidat. Et puisque ce Congrès est capable de s'amuser, on pourrait penser qu'il peut nous réserver des surprises. L'esprit révolutionnaire et contestataire de certains ne souffre pas les choses imposées même si elles émanent d'une majorité d'élus. Et l'imagination se fait féconde et parfois farfelue. Imaginons un instant un scénario improbable mais possible. Le triumvirat a proposé un candidat, M. Moncef Marzouki, à la présidence de la République. On sait, d'après beaucoup de sondages, que le candidat ne fait pas l'unanimité dans la population. On sait aussi que dans les trois partis concernés, il y a beaucoup de courants de pensées et d'ambitions et qui ne sont pas très à l'aise avec les ententes, considérées par certains, contre nature. On peut supposer (c'est même un constat) que plusieurs élus de ces trois partis ne soient pas d'accord sur ce candidat. Les opposants peuvent proposer leur propre candidat (personnalité partisane, élue, ou indépendante). Lors du scrutin, les opposants voteront, bien sur, pour leur candidat. Mais il se peut que des élus, membres du triumvirat, fassent défection et votent pour l'autre candidat. Le vote secret peut encourager quelques dissidents timides. Au total, c'est le candidat de l'opposition qui serait élu. Exit donc le candidat de la coalition. Le nouveau président, n'étant pas lié par une quelconque entente, choisirait un Premier ministre autre que celui de la coalition, à savoir M. Hamadi Jebali. Lequel Premier ministre, également libre de tout engagement, choisirait ses propres ministres. Le package proposé (imposé?) tombe à l'eau. Et paf sur le nez de ceux qui croient avoir obtenu un blanc seing en obtenant quelques suffrages supplémentaires. C'est là un scénario hautement improbable; bien sûr, nos nouveaux élus, étant tellement enthousiastes de leurs nouveaux privilèges, ne s'amuseront pas à faire les dissidents même s'ils ne sont pas d'accord avec leurs dirigeants. La discipline des partis est une réalité. Déjà avec les élections du président de la Constituante et de ses vice-présidents, la discipline a joué. Avant on avait les diktats d'un seul parti; aurons-nous ceux d'une coalition ? Dans les premières déclarations, on relève du déjà entendu, la langue de bois ayant la vie dure. Autre réalité: le pouvoir corrompt.