Par Abdelhamid GMATI Quelques semaines nous séparent du 23 octobre, date des élections pour la Constituante. Si l'on se réjouit de ce scrutin, le seul vraiment libre, il semble que l'on n'en ait pas pleinement saisi l'extrême importance. Il ne s'agit pas d'élire des parlementaires chargés de concevoir et d'adopter des lois ordinaires, mais des représentants du peuple appelés à élaborer et à proposer une Constitution, c'est à dire cette Loi Fondamentale qui va régler, organiser et régir notre «vivre ensemble». Certes nous avions une Constitution mais elle a subi tellement de distorsions et de révisions qu'elle ne faisait qu'accréditer la dictature, usurpant le pouvoir du peuple. Cette fois-ci on aspire à des textes garantissant la démocratie et barrant la route à toutes sortes de dictatures fussent-elles celle de la majorité. Les Tunisiens vivent à ce propos avec une nébuleuse et une grande partie parmi eux l'a exprimée en s'abstenant de s'inscrire aux élections. Pour la simple raison qu'ils ne comprennent pas exactement ce dont il s'agit. Des questions se posent : les libertés individuelles et collectives seront-elles préservées et garanties ? Comment ? Comment seront définis les différents pouvoirs et comment garantir leur indépendance, les uns par rapport aux autres ? Quel régime politique ? Allons-nous opter pour un Etat laïque ou religieux ? etc. Si une majorité des électeurs s'interroge et ne sait pas pour qui voter, c'est qu'on ne lui a pas expliqué les enjeux. Que vont faire les élus dans cette Assemblée constituante ? Que vont-ils proposer ? Quelle est leur conception de cette Loi Fondamentale ? Le vrai pouvoir incombera-t-il au peuple ou va-t-on encore une fois le manipuler ? Va-t-on y inclure une charte des droits de l'Homme ?.. On pouvait se dire, légitimement, que les candidats (ceux des partis politiques ou les indépendants) allaient consacrer leurs efforts et leur savoir faire à proposer des réponses claires et précises à toutes les questions. Les électeurs auraient eu des points de repères clairs pour faire leurs choix. Au lieu de quoi, on assiste à de la surenchère, à de la démagogie, à du populisme. Les partis politiques présentent ces dernières semaines leurs programmes. Quelques évocations vagues sur le politique et beaucoup de promesses et de voeux pieux sur l'économique. On parle d'emplois, d'économie, d'éducation, de questions sociales etc. Des programmes relevant surtout de candidats à un Parlement, exerçant le pouvoir législatif dans tous les domaines et non à une Assemblée constituante dont l'objectif principal et la raison d'être est d'élaborer une Constitution. Il y a eu quelques propositions de personnalités indépendantes mais elles n'ont pas été expliquées ni discutées. Les candidats, en majorité, jouent à la course aux électeurs et promettent beaucoup de choses, essentiellement en rapport avec le pain. Il y a des gens qui pensent que le pain est essentiel et qu'il passe avant la liberté. «Le premier des droits de l'Homme c'est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays», avait déclaré l'ex-président français Jacques Chirac, en 2003, faisant ainsi plaisir à son hôte Ben Ali et ignorant la lutte et les souffrances des opposants et du peuple tunisiens. Son successeur a été dans le même sens. Nos gouvernants dictateurs et leurs semblables dans les pays totalitaires cultivent cette conception des « libertés réelles ». Est-il besoin de rappeler à ces gens, y compris à nos candidats aux élections, que «les droits de l'Homme sont indivisibles et universels», que la liberté est le premier de ces droits et que si on a le droit de vivre, on aspire à le faire, non pas comme des tubes digestifs mais en Etre digne et libre. Le pain, oui; mais il n'engendre pas la liberté. La liberté, elle, produit le pain et le reste des objectifs de cette révolution tunisienne.