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Abdallah Ben Dhafer alias Asfour, le gardien de Zembra, n'est plus


Par Ali El HILI
Abdallah Ben Dhafer, plus connu sous le surnom de Asfour, s'est éteint le mercredi 9 novembre 2011 à l'aube à l'âge de 78 ans. Il a été victime d'un accident vasculaire cérébral qui l'a terrassé en 48 heures. Les cigarettes ont eu raison de lui, lui qui en fumait depuis son plus jeune âge et en grillait ces derniers temps 2 à 3 paquets par jour. C'était un personnage hors du commun, doué d'une force herculéenne, il avait un physique très particulier : teint très bronzé, moustache abondante qui ne laissaient pas indifférente la gent féminine et plus spécialement les étrangères en visite à Zembra, dont plus d'une ont succombé à son charme.
Asfour et moi étions liés par une amitié de plus 40 ans. C'était au tout début des années 70, je venais de découvrir Zembra, son gardien et son patrimoine terrestre et marin. A l'époque, l'île était littéralement pillée : les autorités y organisaient des battues de lapins et des œufs de puffins cendrés étaient ramassés par sceaux entiers. Asfour avait été rappelé sur le continent pour garder le centre d'élevage de perdrix de Mraïssa. Alertée, la direction générale des forêts le ramena sur l'île qu'il gardera jusqu'à son départ à la retraite en 1993. Asfour était un analphabète autodidacte, sa premiere école fut Jbel El Haouaria où il passa son enfance derrière un troupeau de chèvres en communion totale avec la nature, ce qui lui a permis — très curieux qu'il était — de bien connaître la flore et la faune du Jbel et plus particulièrement les oiseaux, qu'ils soient sédentaires ou migrateurs. Il connaissait tous les recoins du Jbel et pouvait suivre, d'une année à l'autre, les sites de nidification des couples de faucons pèlerins et de faucons laniers de Bab Errih à Echegaga jusqu'à Karmet Ezour en passant par Bab El Baghlat. Sa communion avec la nature lui apprit très tôt à la protéger. Il est bien connu que les enfants d'El Haouaria s'adonnent dès leur jeune âge au piégeage des oiseaux lors de la migration de printemps. Asfour prit l'habitude de leur acheter leurs prises et de les relâcher dans la nature, ce qui lui valut son fameux surnom de Asfour. Son premier contact avec Zembra fut au tout début des années 60, quand la S.T.B. entreprit la construction du centre nautique; le chef de chantier voyant son gabarit et sa force physique le mit au travail le plus pénible, celui du marteau-piqueur où il fit merveille.
Recruté comme gardien de massif par la direction générale des forêts, Asfour fera de Zembra sa 2ème école, il en connaissait dans les recoins, y compris les fonds marins, car excellent apnéiste comme tous les Haouaris, les moniteurs de plongée du centre nautique le prirent en sympathie — qui ne le ferait pas ! — et lui apprirent à plonger avec bouteilles.
Quand, à la fin des années 70, la faculté des Sciences de Tunis lança un programme de recherche scientifique sur les écosystèmes insulaires (géologie, sols, ressources en eau, faune et flore terrestres et marines), c'est bien sûr Asfour qui servit de guide à Zembra, conduisant les chercheurs par monts et par vaux; tous, de l'étudiant au professeur, furent épatés par sa connaissance parfaite de la faune et de la flore acquise sur le terrain et en compagnie de Thierry Gaultier qui, en 1978, consacra plus de 6 mois à l'étude des puffins cendrés de Zembra. D'ailleurs, j'ai souvent affirmé que si Asfour avait eu la chance d'aller à l'école, il aurait sûrement atteint le sommet. Au cours du printemps 1979, l'équipe de TF1 «Les animaux du monde» vint en Tunisie pour réaliser des documentaires animaliers. Après avoir filmé la migration des oiseaux à El Haouaria, l'équipe se déplaça à Zembra où Asfour la conduisit à l'aire de faucons pèlerins de Aïn Kabbar où le couple élevait cette année-là 4 jeunes fait rarissime dans le monde et plus spécialement à Zembra comme le montrera plus tard Jean-Marc Thiollay. L'équipe de TF1 put filmer le nourrissage des 4 jeunes et en tira une très belle séquence qui figura dans le film «Quand passent les éperviers».
Asfour et moi avions accueilli à Zembra les plus grands noms de l'ornithologie mondiale: en avril 1979, Stanley Cramp, l'auteur de l'encyclopédie sur les oiseaux d'Europe, du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, en visite en Tunisie, tint à venir à Zembra pour observer la colonie de puffins cendrés. Voyant passer des groupes de cigognes blanches, certains accompagnés de cigognes noires, il répéta plusieurs fois : «It is a long way». Jean Marc Thiollay, le grand spécialiste mondial des rapaces, séjourna à Zembra en compagnie de Asfour du 25 avril au 18 mai 1980 et du 12 au 30 mai 1981, étudiant de très près le régime alimentaire de la colonie de faucons pèlerins, la plus importante au monde sur un espace aussi restreint, étude qui donna lieu à une publication dans la revue Alauda. De même, pour lever le voile sur l'origine du peuplement de lapins de garenne de Zembra, Jean-Denis Vigne, ostéohistorien au Muséum d'histoire naturelle à Paris et grand spécialiste des mammifères des îles méditerranéennes, effectua entre 1986 et 1990 quatre missions scientifiques à Zembra grâce à un financement Unesco; guidé par Asfour, il préleva des échantillons osseux dans des niveaux anciens à travers toute l'île. Il fut ainsi établi que les lapins étaient déjà là au temps de Carthage, sûrement introduits par les phéniciens depuis l'Espagne, hypothèse confirmée par des chercheurs tunisiens de la faculté des Sciences de Tunis en collaboration avec des universitaires portugais. Ces recherches ont montré que les lapins de Zembra bien qu'ayant développés — après trois mille ans d'isolat — des caractères immunogénétiques les différentiant de la souche ibérique, avaient conservé des traits communs avec cette souche. D'ailleurs, les lapins de Zembra ont été l'objet de plusieurs travaux de recherche ayant conduit à des thèses. Ainsi, en 1979 Asfour a piégé régulièrement des lapins qui, transportés par la Marine nationale à La Goulette, étaient pris en charge par la faculté des Sciences de Tunis qui les embarquait pour Paris, là ils étaient réceptionnés par l'Institut Pasteur où Amel Ben Ammar terminait sa thèse d'Etat de génétique moléculaire sur ces lapins.
Le long séjour de Asfour à Zembra lui a permis de côtoyer les grands de ce monde. Ainsi, lorsque le prince Philip vint en 1980 en Tunisie en sa qualité de président du WWF, il demanda d'honorer deux forestiers méritants, Asfour et Baraket (le conservateur de l'Ichkeul) furent désignés et ils reçurent, en grande pompe, leur diplôme des mains du Duc d'Edimbourg. A la même époque, Asfour reçut à Zembra le commandant Cousteau qui plongea avec son équipe tout autour de l'île.
La compagnie de Asfour était extraordinaire, nul ne savait mieux que lui tenir en haleine un auditoire, y compris les collègues étrangers qui nous accompagnaient dans nos expéditions scientifiques et qui l'écoutaient toujours attentivement, saisissant tout juste les quelques mots de français qu'il avait appris à baragouiner. Ainsi à Zembra d'abord, à la Galite ensuite, nos veillées se prolongeaient tard faisant cercle autour de Asfour. Il nous chantait Zembra «l'île à nulle autre pareille» et la Galite «la volcanique», puis venaient des histoires vécues que nous entendions pour la énième fois, mais toujours avec autant de plaisir. J'en citerai quelques-unes : un jour, une vedette de la marine débarqua à Zembra l'unité de commando de l'armée tunisienne; son colonel, connu pour sa force physique, voulut se mesurer à Asfour. Venant par derrière, il fit à Asfour la fameuse prise de la gorge; de la force de ces deux bras, Asfour parvint à desserrer l'étreinte et se penchant légèrement en avant, il jeta le colonel par terre “kil gournita'' (comme si c'était un poulpe), répétait à chaque fois Asfour. Suivit ensuite un concours de tir au fusil mitrailleur, la cible — à 50 mètres — étant successivement une cigarette puis une pièce de monnaie; Asfour repéré déjà comme tireur d'élite dans l'armée tunisienne, fit voler les 2 cibles, le colonel et tous les membres de son commando y échouèrent. De dépit, le colonel mit sa troupe en corvée d'astiquage de la vedette et toutes leurs provisions de bouche furent descendues à terre et offertes à Asfour.
Asfour était intarissable sur tout ce qui touche à son île, et il prenait plaisir à nous conter comment il reçut une nuit — en rêve — la visite d'un homme en habit préhistorique du nom de «Jibou» qui demeurait dans la grotte de Oued Zitoun — une grotte que nous visitions souvent et qui abrite chaque saison deux couples de puffins cendrés — «Jibou» lui recommanda de veiller sur l'île.
Asfour a longtemps cohabité à Zembra avec Daoued Ben Dhaffer, son homonyme, qui fut d'abord gardien du centre nautique depuis la création de ce dernier au début des années 60 jusqu'à sa disparition en 1978, ensuite garde forestier; mais il n'y a jamais eu d'atomes crochus entre les deux personnages. Alors que Daoued logeait dans la plaine près du bord de mer dans un ancien four à pain, Asfour a toujours habité en hauteur dans le local dénommé dortoir. Asfour avait pris l'habitude, à chaque retour mensuel du continent, d'accrocher son sac à dos vide à une fenêtre du bâtiment. Lors d'une expédition scientifique du 11 au 22 avril 2004 consacrée à l'étude de la flore terrestre et au suivi de l'avifaune nicheuse : faucons pélerins, faucon lanier, puffins cendrés et goélands d'Audouin, j'ai constaté que des mésanges bleues s'affairaient autour du sac de Asfour; vérification faite, le couple y avait élu domicile en y construisant son nid qui contenait déjà des œufs ; consigne fut donnée à Asfour de ne plus toucher à son sac tant et si bien que les mésanges bleues purent en toute quiétude couver leurs œufs et élever leurs jeunes jusqu'à l'envol.
Abdallah, repose en paix au cimetière d'El Haouaria, à quelques kilomètres de Zembra, nous sommes nombreux à t'avoir pleuré en même temps que ta femme, tes sept fils et tes quatre filles. Ton souvenir restera vivace parmi nous et nous aurons une pensée émue pour toi chaque fois que nous débarquerons à Zembra ou à la Galite.
Note : Les amis de Asfour organiseront le 17 décembre 2011, à El Haouaria, un hommage au disparu. Tous ceux qui l'ont connu y sont invités.


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