L'œuvre qui a été présentée le vendredi 16 avril à Bir Lahjar rendait hommage à un pionnier du théâtre moderne, Enrique Jardiel Poncela, dramaturge espagnol du début du XXe siècle, né et mort en Espagne, à Madrid. Scénariste, écrivain, réalisateur et acteur, ce dernier avait pour principal objectif de rompre avec les contours traditionnels et conventionnels du 4e art de l'époque. Il instaure sur les planches le jeu «cynique», qui rend l'ironie support central du jeu «comique», ses dialogues sont vifs, emportés, jamais «mous», aux situations rocambolesques et aux multiples surprises, alternant entre le sublime et le vulgaire. Il a d'emblée proposé des histoires invraisemblables pour fusionner entre le théâtre et la réalité, permettant de l'approcher, de le lire et de le comprendre à travers un lexique de formes originales résidant dans l'élaboration de situations absurdes et ridicules. «Le théâtre et la réalité», «El Teatro y la realidad» dans la langue espagnole d'origine, est justement le nom de la première pièce présentée. En effet, l'œuvre d'Enrique Jardiel Poncela arborée ce soir-là à Bir Lahjar, se composait de deux brèves pièces théâtrales, celle-ci et, en deuxième partie, A six heures au coin du boulevard, «A las 6 en la esquina del bulevard». Assurés par la compagnie «Pasta de Bonatio», dont la direction revient à Carmen Rosadas, les actes se sont succédé, portés par des comédiens engagés. Malgré la langue d'interprétation restée à son espagnol d'origine, sans sous-titres et sans explications aucunes, le spectateur a tout de même réussi à comprendre les tenants et aboutissants du récit comique étendu. A priori, le public venu peu nombreux mais visiblement habitué de ce type de manifestation programmée dans le cadre des «Journées espagnoles» était majoritairement hispanisant et n'avait nul souci pour suivre les deux pièces. Avec un décor «planté» dans le patio chargé de Bir Lahjar, entre ses piliers et ses voûtes tellement typiques de nos cultures et de notre civilisation, se sont érigés trois fragments scénographiques chacun dédiés à la structure théâtrale iconoclaste d'Enrique Jardiel Poncela. Son rythme narratif tellement particulier a donc débuté avec Le théâtre et la réalité, pièce en deux actes, publiée en 1927 dans un magazine satirique espagnol. Le mot d'esprit y est basé sur la caricature humaine, porté par la dérision et la critique sociale. L'auteur met en parallèle deux récits en un seul, comment une histoire est représentée dans le théâtre et comment la même histoire se passe dans la réalité. Il se moque par là même des deux formes de théâtre utilisées à l'époque, qu'il pense «bouffonnes» avec un ineffable académisme : la haute comédie et la saynète. Cet abord dénigrant, caractéristique d'Enrique Jardiel Poncela, se voulait une issue de secours vers la rénovation du théâtre espagnol. La pièce qui dure environ une trentaine de minutes, repose sur un personnage central, apparu en premier, «Acotacion» (Javier Miro), qui sert de fil conducteur entre les deux scènes du «Théâtre et la réalité». Il raconte respectivement les mésaventures de «Felix» (Mateo Montes) et de «Lucila» (Milagros Jimenez), de «Lino» (Victor Gavito) et d'«Evarista» (Consuela Tomé). Pour les deux plateaux c'est d'infidélité qu'il s'agit, avec les mêmes arguments. Cependant, dans la scène première, nous sommes dans un environnement bourgeois où le mari admet finalement l'infidélité de son épouse, alors qu'avec les mêmes preuves et raisonnements, dans la deuxième scène où l'action se passe dans le salon d'une maison des quartiers populaires, le mari devient furieux quand il apprend que son épouse est infidèle. A six heures au coin du boulevard a également traité de mariage et d'adultère, en brossant les portraits de l'ex-maîtresse «Casilda» (Tanit Laguens), de l'épouse «Cecilia» (Carmen Posadas) et du mari volage «Rodrigo» (Tomas Alberdi). «Casilda» arrive chez «Rodrigo» sans savoir que «Cecilia» est présente au domicile conjugal. Cette dernière se présente alors comme une amie d'enfance du mari, mais, rapidement et par hasard, l'épouse découvre que c'est en réalité sa maîtresse, qui en profite pour faire obstinément croire à «Cecilia» que son «Rodrigo» la trompe à-tout-va. Commence alors toute une série de quiproquos et de situations équivoques, puisque l'amante et la femme trompée s'associent pour toutes sortes de manigances, de surcroît avec la femme de ménage «Beni» (Montse Fresno), pour tendre un piège au mari et le mettre à nu face à ses vices. Plus que de simples divertissements, ces deux mini-pièces théâtrales ont permis aux connaisseurs du registre satirique de réapprécier l'empreinte du précurseur Enrique Jardiel Poncela, et ont donné l'occasion aux profanes du style d'entrevoir une école-mère des réflexions avant-gardistes du théâtre moderne.