Par Moncef HORCHANI Des trois pouvoirs qui ont été longtemps convoités au lendemain de la révolution par les leaders de la coalition et qui, finalement, ont été répartis bon gré mal gré selon une certaine logique (le principe du score aux élections), deux seulement ont été discutés à l'Assemblée pour délimiter les attributions qui s'y greffent. Seul le pouvoir politique concernant le président de l'Assemblée constituante ne l'a pas été. Si ce point n'a pas été inscrit à l'ordre du jour, c'est parce que, tout simplement, il n'y avait rien à dire à ce sujet. Autrement dit, c'est qu'il n'y avait aucun pouvoir spécifique à conférer au président de l'Assemblée, autre que celui de diriger cette instance. Pourtant, tout le monde s'attendait, compte tenu de tout le remue-ménage qui a entouré le partage des pouvoirs par les lauréats des élections, à ce que le président de l'Assemblée allait jouer un rôle important dans la gestion du pays, aussi important que celui du président de la République ou du chef du gouvernement, en agissant de façon effective sur toutes les décisions prises au sommet de l'Etat. Non pas un rôle consultatif au sens strict du terme, mais celui de décideur à part entière. En définitive, il n'a obtenu ni l'un ni l'autre puisqu'il n'aura à s'occuper que de la bonne marche de l'Assemblée. D'ailleurs, à une question qui lui a été posée au cours d'une interview télévisée au sujet des pouvoirs qui lui sont dévolus, il avait répondu qu'il avait seulement la charge de tous les aspects organisationnels de l'Assemblée. Rien de plus clair. Sans pour autant minimiser l'importance du statut de président de l'Assemblée, personnage qui mérite toutes les considérations, on ne peut pas s'empêcher de penser que la seule gestion des travaux de l'Assemblée est une tâche bien en deçà des attentes. En effet, son implication directe dans le champ du pouvoir, surtout dans les circonstances difficiles actuelles, pourrait donner plus de crédit, de poids et de transparence aux prises de décision de haut niveau. M. Foued Mbazaâ n'a-t-il pas déclaré qu'il vivait en marge de l'Exécutif au temps où il présidait l'Assemblée nationale, aujourd'hui défunte, situation qui l'empêchait, selon lui, de porter un jugement critique sur ce qui se faisait dans la cour des grands et d'influer sur les prises de décision ? Mais les jeux sont désormais faits. A chacun donc ses prérogatives. Autre sujet qui mérite d'être évoqué, tant il est l'objet actuellement d'une attention particulière de la part des Tunisiens, celui qui a trait aux travaux de l'Assemblée. Pour ce qui était de la manière dont les débats étaient dirigés, il y avait du bon et du moins bon. Ce qui était positif, c'était l'impartialité dont faisait preuve le président, la courtoisie qu'il témoignait à l'endroit de tous les intervenants, quelle que soit leur appartenance, sa volonté de faire respecter autant que possible la durée des prises de parole et sa faculté d'éviter ou de contenir tout dérapage verbal. Pour ce qui était des revers, il y a lieu de signaler, au niveau de la forme, une certaine complaisance manifestée à l'égard du président de la commission chargée de la répartition des pouvoirs. En effet, ce dernier, dont l'attitude, à la limite de la provocation, affichait son appartenance au plus grand parti de la coalition, était souvent sorti de son rôle en se faisant une place dans l'animation des débats avec un brin d'arrogance teintée d'ironie. Un rappel à l'ordre s'imposait. Quant au fond, le président de l'Assemblée n'aurait pas dû permettre à cette même personne de juger elle-même de la recevabilité ou du rejet des propositions avancées. M. Ben Jaâfar, de par sa fonction, était le seul habilité à se prononcer sur la pertinence ou l'insignifiance des amendements proposés. Il aurait dû donc le lui signaler et user en personne de ce pouvoir de discernement. Les débats, qui se sont déroulés non sans heurts, ont présenté deux sons de cloche: d'un côté une minorité qui insistait avec beaucoup d'ardeur sur le bien-fondé de ses propositions d'amendement, de l'autre une majorité qui s'opposait farouchement à toute modification des projets dont elle était la source…Un dialogue de sourds. Une atmosphère irritante dans la mesure où certaines propositions, pourtant étayées par des arguments convaincants, auraient mérité d'être retenues si elles ne s'étaient pas heurtées à l'intransigeance de la majorité qui pressentait que celles-ci allaient à l'encontre de sa philosophie politique, de sa conception du pouvoir. Bref, l'aboutissement de chaque débat à propos de chaque article était le même: un vote à la majorité simple validant le projet dans son intégralité. Les rares concessions qui ont été consenties étaient si dérisoires que nombre de téléspectateurs se sont interrogés sur l'utilité de ces débats. La contrariété était également bien visible du côté de l'opposition. N'a-t-on pas vu un député éclater en sanglots tant la procédure de vote était frustrante? Dans une certaine mesure, la majorité avait raison d'accuser l'opposition de faire traîner les choses, comme si elle voulait lui signifier, à travers ce grief, que le fait de multiplier les interventions, de s'attarder sur la discussion des projets étaient peine perdue puisque les votes à la majorité simple lui donnaient inévitablement une fin de non-recevoir. L'opération-vote était en elle-même un spectacle. A chaque fois, pour dire oui ou non, les députés d'un certain parti levaient et baissaient simultanément les bras, comme le font des enfants au cours d'un exercice de mouvements rythmés. Une note amusante dans ce spectacle: il y avait toujours parmi ces députés certains qui se retournaient pour s'assurer qu'aucun des leurs ne vienne apporter un bémol à la chorégraphie. Cela ne s'était jamais produit, discipline oblige dans ce maillon fort de la majorité. On a beaucoup à apprendre sur la démocratie, en général, et parlementaire, en particulier. Dans tous les pays où cette valeur est un sacerdoce, il n'y a pas de loi soumise au Parlement qui ne soit pas amendée avant adoption. Dans ces pays démocratiques, la majorité ne part pas du principe qu'elle a toujours raison, que sa volonté doit être à tout prix concrétisée par un vote positif, lequel est pourtant bien à sa portée, mais elle se montre à l'écoute de toutes les suggestions et n'hésite pas à adhérer aux propositions les plus pertinentes en introduisant, après lecture et relecture, des amendements substantiels au texte initial. Ainsi, au final, il n'y a ni vainqueurs ni vaincus, toutes les parties étant, généralement, moyennement satisfaites. En revanche, ce qui ressort des travaux de notre Assemblée, c'est que les votes ne donnent que des grands vainqueurs qui, d'ailleurs, ne cachent pas leur fierté de l'être. Les embrassades de triomphalisme qui ont clôturé le vote final de la petite Constitution en sont la preuve. C'est bien là le produit d'un autoritarisme qui ne dit pas son nom, d'une démocratie de façade que la Révolution du 14 Janvier n'aurait pas aimé nous donner après des décennies de dictature.