Par Moncef GUEN (*) Le gouvernement Hamadi Jebali est finalement formé deux mois après l'élection de l'Assemblée constituante. Deux mois de négociations entre les trois partis (Ennahdha, CPR et Ettakattol) pour constituer une majorité capable de gouverner le pays jusqu'à la finalisation de la constitution et l'organisation de nouvelles élections. Ce laps de temps a été jugé trop long par la plupart des observateurs, surtout si l'on tient compte des négociations laborieuses qui avaient précédé les élections en vue précisément de faire émerger une coalition de gouvernants potentiels et si l'on tient compte des problèmes urgents auxquels notre pays fait face. Trois séries de remarques peuvent être faites à propos de ce premier gouvernement post-électoral qui peut, il faut l'espérer, se prévaloir de la légitimité que les urnes lui confèrent pour remettre le pays au travail mais dans un cadre démocratique et respectueux des libertés publiques que la Révolution a inauguré. La première série est relative à sa taille et sa composition. Certains observateurs n'ont pas manqué, dès les premières annonces non officielles, de critiquer la taille que prendrait une équipe gouvernementale de 50+1. Il leur faudrait — auraient dit certains — réquisitionner le Palais des Congrès pour leurs réunions au complet. Heureusement que ce nombre a été réduit à 41 membres dont 30 ministres. Mais même à cette taille, ce gouvernement est gigantesque. Il l'est d'autant plus que certaines fonctions sont dédoublées entre ministères qui paraissent se chevaucher dans leurs prérogatives. Par exemple, le ministère de la Justice et celui des Droits de l'homme et de la Justice transitionnelle. Sans parler du ministère délégué auprès du Premier ministre chargé de la gouvernance et de la lutte contre la corruption. Certains ministères auraient pu être regroupés pour une vision unitaire et efficace de leurs missions tels que les ministères de l'Education, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Il en va de même pour les ministères à caractère économique et financier : ministère des Finances, ministère du Développement régional et de la Planification, ministère de l'Investissement et de la Coopération internationale et ministère de l'Industrie et du Commerce. Dans tous les cas, une bonne et rationnelle préparation du budget aurait dû rassembler les ministères des Finances et du plan afin d'élaborer des cadres budgétaires à moyen terme et des allocations pluriannuelles et stratégiques des ressources publiques. La deuxième série de remarques tient à la jeunesse et au caractère innovateur de la nouvelle équipe. C'est un gouvernement de jeunes même si certains parmi les ministres ont des cheveux gris ou grisonnants. Cela augure bien de la capacité future de travail de ce gouvernement dont les membres devraient mettre 15 à 16 heures de travail par jour et 7 sur 7. Avec une économie en récession, sinon tournant vers la dépression, le problème capital du chômage des jeunes, la pauvreté qui frappe la plupart des couches populaires, la désolation qui règne dans la plupart de nos régions, la tâche est immense. Les ministres sont appelés non seulement à mener un travail de géants, mais aussi à s'entourer de cadres efficaces qu'ils devraient trouver dans leurs appareils administratifs existants, ce qui n'est pas si facile si l'on tient compte de la corruption qui a gangrené pendant des décennies notre administration centrale, régionale et locale. Pas toute l'administration mais une partie non négligeable. Il est également important de souligner ce phénomène unique pendant les grandes révolutions qui voient des personnes sortir de prison ou d'exil pour assumer le pouvoir. On ne peut pas ne pas saluer ce phénomène qui illustre la portée de la Révolution du 14 janvier. La troisième série de remarques a trait aux ministères qui me paraissent avoir la plus grande importance dans le long terme. Il s'agit d'abord du ministère de la Justice. La réforme du système judiciaire est la clé de voûte de la réforme de notre société vers la primauté de l'équité et l'égalité. Si le citoyen ne voit pas que la justice est rendue d'une manière objective et intègre, il sera rapidement déçu. Ibn Khaldoun l'a souligné depuis for longtemps. Il s'agit aussi des ministères de l'Education et de l'Enseignement. La formation des générations futures, qui sont l'avenir de la Tunisie, en dépend. Cette formation devrait s'inspirer de celles de pays comme Singapour ou la Corée du Sud qui, par l'accent mis sur les sciences, les mathématiques et les technologies, ont permis des bonds technologiques immenses et des progrès économiques rapides en l'espace de deux générations. Il s'agit enfin du ministère de l'Agriculture dont dépend le développement rural qui permettra d'absorber les centaines de milliers de sans-emploi dont une bonne partie est diplômée. Si le gouvernement Jebali veut attaquer sérieusement le chômage et l'inégalité régionale, il devrait commencer par un programme de développement rural garantissant un minimum d'emploi à tout demandeur d'emploi en zones rurales. Ce serait aussi le premier pas vers une politique des revenus pour amener un rééquilibrage entre catégories sociales et régions. Au gouvernement nouveau, disons : Bon courage et bonne chance. Il en a bien besoin.