• La Tunisie a dépassé le seuil du stress hydrique: elle compte seulement 400 m3 d'eau par habitant par an. • Les déchets chimiques enveniment les oasis de Gabès, tuent les richesses maritimes du golfe de Gabès et menacent la santé publique dans cette région. Notre environnement tire la sonnette d'alarme, lésé qu'il est par tant d'abus et de négligence. En effet, la politique environnementale de l'avant-révolution ne faisait que s'arrêter sur une poignée d'aspects liés à l'environnement ; une vision rétrécie qui limitait le domaine regroupant le capital naturel et l'écosystème aux seuls parcs nationaux, espaces verts ou encore à l'épuration des eaux usées. Aujourd'hui, le domaine de l'environnement se trouve dans une phase charnière, entre un passé désastreux et un futur touffu d'enjeux costauds. Il l'est car il place les institutions concernées, les experts environnementaux et les militants de la société civile face à une équation dure à résoudre : comment amalgamer les objectifs développementaux et ceux environnementaux sans pour autant nuire à l'un des deux domaines et éviter au maximum les impacts nocifs sur le capital naturel d'une part et le bien-être de l'Homme de l'autre ? Cette question a suscité l'intérêt de trois experts environnementaux, à savoir M. Mounir Majdoub, militant associatif dans le domaine environnemental, M. Samir Meddeb, naturaliste de formation, et M. Boubaker Houmen, spécialiste en sciences des sols. Ces experts ont animé le panel sur les enjeux environnementaux, dans le cadre d'une session de formation sur le domaine de l'environnement, coorganisée récemment par le Capjc, l'Ipsi, la fondation Friedrich Naumann pour la liberté et le groupe de coopération allemande GIZ, en faveur de journalistes tunisiens. «Nous devons œuvrer désormais de telle manière à ce qu'on crée des richesses tout en préservant notre bien-être, chose que nous n'avons pas réussie auparavant. Il convient, donc, de repérer les «hics» et d'y remédier», fait remarquer M. Meddeb. La majorité des composantes du capital naturel a été lésée. Ainsi, les ressources hydriques en Tunisie sont au-dessous du seuil du stress hydrique, fixé à 500 m3 par habitant par an, puisqu'elles sont à 400 m3/ habitant par an. La non-rationalisation des eaux, notamment dans les secteurs fort consommateurs, tels que l'agriculture, l'industrie et le tourisme, ainsi que l'utilisation non judicieuse des eaux fossiles, censées constituer une réserve en cas de catastrophes, pour l'irrigation des dattiers ; autant de faux pas qui enfoncent le clou. M. Meddeb rappelle que 80% des zones de développement sont implantées sur le littoral ; un constat qui en dit long sur l'impact des divers secteurs sur l'écosystème. Par ailleurs, l'urbanisation non maîtrisée des sols et des terrains agricoles préoccupe les experts environnementaux. M. Houmen cite à titre indicatif l'urbanisation des sols à vocation agricole de la ville de La Soukra ; jadis considérée comme la ceinture verte de la capitale tellement riche en cultures maraîchères. Il s'agit d'une forme de pollution qui menace le capital naturel. «Certes, ce problème préoccupe les experts environnementaux. Toutefois, le dernier mot n'est pas encore prononcé et le conflit sur l'usage de l'espace laisse entendre la possibilité d'un éventuel compromis», fait remarquer M. Houmen sur un ton enthousiaste. Autre problème mentionné: celui des domaines forestiers. Les forêts, elles aussi, ont eu leur part d'oubli mais aussi, et surtout, d'abus. M. Majdoub souligne que cet incident est sans précédent dans l'historique des incendies dans les forêts, n'excluant pas même l'hypothèse d'un acte criminel. «D'après mon expérience, la pointe enregistrée jusqu'en été 2011 n'excède pas les 1.200 hectares», fait-il remarquer. Quant aux parcs nationaux, ils forment des indicateurs de détresse de la faune et de la flore beaucoup plus que des zones écologiques protégées. Certes, les coups d'alerte ont permis de fermer les parcs menacés, notamment le parc national Chaâmbi, celui de Bou Hedma ou encore le parc d'Ichkeul. Sauf que ces mesures demeurent rudimentaires par rapport au grand travail qui attend les spécialistes afin que ces lieux soient dignes et à l'image d'une vision respectueuse de la nature. Eco-citoyenneté ou la voie environnementale «S.O.S parcs nationaux », «Touche pas à mon Belvédère», «Sauvez Jradou», autant de slogans d'alerte qui ont été lancés après la révolution pour éveiller la conscience nationale sur le danger environnemental. Après tant de marginalisation, les citoyens ont déclaré leur attachement à l'environnement et ont imposé leur mot sur la question. L'éco-citoyenneté naissante a eu recours à la société civile ; une coalition tant souhaitée, à même de faire pression sur les institutions afin de faire face, désormais, aux déroutes environnementales. Cette coalition a permis, également, de lever le voile sur les dossiers épineux qui restaient, durant des années, bien cadenassés dans les tiroirs des institutions. M. Majdoub cite les éco-protestations des habitants de Jradou ; ce village berbère qui faisait l'objet d'un site de décharge des déchets les plus toxiques. «Ce village souffre depuis des années de l'impact fort dangereux des déchets toxiques qui tuent la faune, polluent l'eau et infectent le sol. Grâce au cri d'alerte des habitants en janvier 2011, cette station a été mise en arrêt», indique M. Majdoub. Le tour est probablement aux habitants de Gabès de protester contre les déchets chimiques, notamment le phosphogypse qui pollue le golfe de Gabès. M. Majdoub affirme non sans déception qu'une bonne partie de ce golfe n'est plus fertile en richesses maritimes depuis bien des années. «Les oasis de Gabès ont, eux aussi, été victimes de l'industrie chimique, mais aussi de la rareté des eaux et de l'urbanisation intruse. D'ailleurs, les habitants ont une part de responsabilité à cet effet: 60% des oasis de Gabès— qui comptent déjà parmi les rares oasis côtières dans le monde— sont envahies par des constructions», ajoute M. Majdoub. Il est clair que les inquiétudes des experts sont bien fondées. Cependant, l'heure n'est pas aux regrets. Il n'est jamais trop tard pour se pencher sur des enjeux vitaux et s'appliquer à leur résolution avec patience, intelligence et persévérance, notamment de la part de toutes les parties intitutionnelles et civiles. Pour ce, il convient de dresser l'état des lieux en matière d'environnement, afin de pouvoir cerner les problèmes et étudier les équations à traiter. La préservation de l'écosystème et son exploitation dans le processus développemental doivent tenir compte des normes internationales afin d'atteindre les objectifs escomptés. Le rôle de la société civile et celui de l'éco-citoyenneté s'avèrent capitaux dans cette démarche que l'on veut prometteuse.