Un nouvel espace d'exposition et de rencontre d'artistes s'est ouvert il y a peu de temps à La Marsa. Encore un, direz-vous ! La Marsa est devenue effectivement un carrefour de l'art pictural en Tunisie. Les galeries d'art y foisonnent ainsi que les festivals prestigieux d'arts plastiques. A défaut de pouvoir accueillir le musée d'art moderne de Tunisie pour lequel il a été restauré, le palais d'Al Abdelliya se voit investi de recevoir, au printemps, le festival très apprécié des artistes : le festival des arts plastiques. La naissance d'un nouvel espace à La Marsa n'est pas passée inaperçue. Ses promoteurs le veulent différent des galeries classiques de vente d'œuvres d'art. C'est, disent-ils, un espace de rencontre, convivial, qui rassemble plusieurs artistes de bords et à démarches très différents. Les techniques expressives sont également très variées et peuvent, en l'occurrence, coexister comme dans l'exposition qui se tient actuellement à La Marsa. Les sculpteurs côtoient les peintres, les artistes photographes, les graveurs, les graphistes, ainsi que les designers… En fait, ce qui fait courir tous ces artistes, c'est bien le thème choisi, un thème inhabituel : «La folie comme maladie d'amour». L'exposition est l'occasion de réciter et de déclamer la poésie d'Alda Merini, cette poétesse italienne qui doit payer le prix fort (incarcérée et isolée pendant très longtemps dans un asile de fous) pour avoir osé exprimer follement son amour de la vie ! Les œuvres plastiques exposées sont très variées. Toute tentative de les lire d'une manière globale ne peut être qu'arbitraire. Cependant, quelques axes semblent être, malgré tout, identifiables… difficilement. Le premier axe se situe au niveau des travaux de deux artistes, aujourd'hui, confirmés : Besma Haddaoui et Omar Bey. Besma Haddaoui se met apparemment en congé de la pratique picturale à l'acrylique et à la peinture à l'huile. Elle privilégie, aujourd'hui, une démarche plutôt graphique, d'une composition peut-être photographique retouchée, remodelée et suggestive des corps noirs et gris qui laisse transparaître une scénographie amoureuse. Un texte accompagne le diptyque et met en branle toute une gestualité sensuelle débridée. Le non-dit est évacué et le débordement n'est plus seulement suggéré. Il appuie la représentation et la complète. L'image a besoin du texte pour dire la folie de l'amour… dommage que l'œuvre soit gondolée. Omar Bey délaisse lui aussi ses anciennes compositions quelquefois torturées, quelquefois puristes pour proposer deux tableaux fort intéressants. Le premier présente en premier plan deux ensembles paradoxaux où dominent à gauche des figures amorphes et hybrides en noir et gris et où éclate à droite la tête rousse très violemment illuminée par une fluorescence d'un beau visage de la mère tant aimée. La deuxième œuvre de Omar Bey n'est pas moins forte. Le paradoxe ici ne se situe pas au niveau de la lumière et de l'ombre, mais au niveau d'une représentation ramassée d'un corps prêt à sortir de la toile et d'exploser… Image et expression puissante. Omar Bey est en train de devenir peintre. Les autres genres présents dans le salon sont d'abord les sculptures de S. Fenniche. Il nous a été donné d'explorer les travaux de S. Fenniche surtout par rapport à son travail du bois et du marbre. L'autre artiste qui sort du lot semble être N. Belcadhi avec ses animations associant des formes très design au mouvement minimaliste. Ce designer très discret est certainement capable de réaliser de très beaux objets. L'autre genre, le plus présent dans l'exposition, est la photographie qui occupe une surface d'exposition appréciable dans cette «galerie» somme toute assez petite. C'est ainsi que Rim Témimi se donne à cœur joie dans sa tentative de raccourci essentialiste pour exprimer les préoccupations soufies… Sélima Karoui, esthéticienne à souhait, exploite l'accident, le hasard pour nous fournir des photographies qui ont suscité la rédaction d'un très beau texte d'accompagnement. Mais Sélima a-t-elle besoin d'un texte pour nous sensibiliser à son approche photographique. Slim Tlili poursuit sa quête plastique dans la photographie. La photographie, reflet mécanique du monde, subit des traitements où le déséquilibre est l'élément opérationnel privilégié. D'autres travaux accompagnent cet enchevêtrement et ce brouhaha d'objets où l'usuel, le décoratif et le purement artistique se mêlent et se croisent sans cacophonie… Les objets design, comme la chaise de Soufien Khlif, participent de cette non-ségrégation fonctionnelle. La chaise accrochée au mur perd la fonction pour laquelle elle a été fabriquée et acquiert le statut de chaise libre dont la seule contingence est d'occuper une place dans le cœur de l'artiste. D'autres objets établissent un dialogue entre eux, les meubles et les œuvres d'art, sans jamais se chahuter… Quelquefois même, l'objet design glisse vers l'art comme cette bouteille de R. Amara chevauchée par une forme esquissant une sculpture assez légère pour revendiquer le statut d'une véritable sculpture, mais Rachida n'aime pas trop les choses bien finies. Tous ces objets sont destinés à la vente… ce sont des marchandises, cela ne leur enlève en rien leur noblesse et leur beauté. Aphaistos le dieu grec du feu ou Vulcain le Romain président aux destinées de ce salon où tout se mélange, s'embrasse et s'embrase, et où les objets d'art, chargés de beaucoup d'amour, perdent de temps en temps le nord… N'est-ce pas là le propre de l'art et de l'amour de perdre de temps en temps la raison!