Si notre capitale Tunis vient d'être distinguée par une place dans le Top six des cités les plus écologiques de l'Afrique, ce résultat ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Car selon les grandes constations de l'Index des villes vertes en Afrique, ce projet de recherche mené à bien par l'Economist Intelligence Unit avec le soutien d'une entreprise allemande de télécoms ne comporte aucun «vainqueur». Six villes affichent un score au-dessus de la moyenne et les villes d'Afrique du Sud et du Nord font, de manière générale, mieux que leurs contreparties subsahariennes. Mais aucune des 15 villes de l'Index ne termine dans la catégorie «bien au-dessus de la moyenne», ce qui semble indiquer que même les villes les plus performantes du continent disposent d'une certaine marge pour réduire leur empreinte écologique. Parmi les six villes se situant au-dessus de la moyenne, deux groupes, à savoir les villes d'Afrique du Sud et celles d'Afrique du Nord, obtiennent de meilleurs résultats que les villes subsahariennes. Gros plan sur les résultats de cette évaluation des performances environnementales des grandes villes d'Afrique. Selon Delia Meth-Cohn, directrice de publication de l'Economist Intelligence Unit-Cemea (Europe continentale, Moyen Orient et Afrique) : « D'après les conclusions de notre rapport, bien que, globalement, les villes d'Afrique du Nord ne s'en sortent certainement pas aussi bien que celles d'Afrique du Sud, elles possèdent tout de même certaines forces assez différentes. En termes de politiques, elles ont tendance à faire légèrement moins bien. Dans la catégorie Politiques environnementales, par exemple, toutes les villes sud-africaines affichent des résultats au-dessus de la moyenne, tandis que toutes les villes nord africaines sont dans la moyenne. Elles s'en tirent néanmoins mieux en matière d'accès aux services. Par exemple, les deux villes nord-africaines qui terminent au-dessus de la moyenne dans l'Index, Casablanca et Tunis, affichent d'excellents taux d'accès à l'électricité, à l'eau potable et à l'assainissement, proches des 100 %. Le Caire et Alexandrie, bien que se situant globalement dans la moyenne, possèdent elles aussi de très bons taux d'accès à ces services ». Pour elle : « Tunis s'est montrée particulièrement active, ces dernières années, en matière de connexion des ménages au réseau électrique ; elle a également investi lourdement dans son réseau de métro léger et de trains de banlieue. À Casablanca, les autorités ont transféré la gestion de certains services clés comme l'approvisionnement en électricité et en eau, la gestion des déchets et l'assainissement à des prestataires privés dès 1997. Cette décision a eu ses détracteurs, mais la ville peut depuis lors faire état d'avancées en termes de taux d'accès et de qualité de service. Les soulèvements qui ont eu lieu dans le monde arabe ont également engendré un regain d'optimisme vis-à-vis de la capacité de gouvernements plus démocratiques et plus réactifs à faire bouger les choses, en mieux» Energie, CO2 et électricité En effet, toujours selon cette étude, les résultats de la catégorie Energie et CO2 ont mis en exergue les différences de développement économique qui règnent sur le continent, plus particulièrement entre l'Afrique du Sud et les autres villes d'Afrique subsaharienne reprises dans l'Index. Par exemple, en Afrique du Sud, la quantité de CO2 émise par personne en raison de la consommation électrique s'élève en moyenne à 3 tonnes, soit plus de cinq fois celle des villes d'Afrique du Nord (Tunis, Casablanca, Le Caire et Alexandrie) et 60 fois celles des sept autres villes d'Afrique subsaharienne (Accra, Addis-Abeba, Dar Es-Salaam, Lagos, Luanda, Maputo et Nairobi). Parallèlement, les sept villes d'Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) reprises dans l'Index affichent toutes une consommation électrique très limitée : en moyenne, on y consomme 2,3 gigajoules par personne et par an, contre 9,9 gigajoules dans les huit autres villes de l'Index. Combinée au recours fréquent à l'énergie hydroélectrique (en moyenne 69 % de l'électricité est générée de cette manière dans les pays étudiés), cette consommation modeste entraîne de faibles émissions de CO2 (liée à l'électricité) : en moyenne 49 kg de carbone par personne et par an. Par contre, les quatre villes d'Afrique du Nord (18,1 Gj/personne seulement pour Tunis soit trois fois la moyenne du continent qui est de 6,4 Gj/personne) possèdent une consommation d'électricité et un taux d'accès au réseau de distribution relativement élevés, alors qu'une bonne partie de leur électricité provient du gaz naturel ; combinés, ces facteurs résultent en des émissions de CO2 liées à la consommation d'électricité s'élevant à 570 kg par personne. Leurs politiques sont également relativement peu efficaces : aucune de ces villes n'obtient la note maximale pour le moindre indicateur dans ce domaine. En règle générale, on ne trouve aucune donnée liée aux émissions de CO2, car celles-ci ne sont pas mesurées (et ont donc dû être estimées pour les besoins de l'Index). 74 m2 d'espaces verts par habitant D'autre part, pour ce qui est de l'utilisation des sols, les villes africaines sont dans une certaine mesure parvenues à préserver leurs espaces verts, mais sont généralement pénalisées par leur forte expansion, leur faible densité de population et leur nombre considérable de résidents vivant dans des logements informels. De ce fait, selon cette étude, en moyenne, ces villes comptent 74 m2 d'espaces verts par habitant, ce qui représente près du double des villes asiatiques étudiées dans les précédents Index (39 m2 / habitant), mais moins que celles d'Amérique latine étudiées dans les précédents Index, qui comptent 255 m2 par habitant. Par contre, l'extension urbaine anarchique constitue un grave problème dans les villes étudiées par l'Index. Ces 15 villes ont en effet une densité de population d'environ 4.600 habitants par kilomètre carré. A 19.100 habitants / km2, le Caire est de loin la ville la plus densément peuplée de toutes : sans elle, la densité moyenne chute à 3500 habitants / km2. En effet, à titre de comparaison, les 22 grandes villes étudiées dans l'Index des villes vertes en Asie possèdent une densité de population moyenne de 8.200 habitants / km2. Parmi les villes africaines, seules quatre obtiennent la note maximale pour leurs politiques de lutte contre l'expansion tentaculaire. Le problème est toutefois plus grave encore quand cette expansion prend la forme de logements informels : bien que toutes les villes de l'Index aient mis en place l'une ou l'autre politique de reconversion des bidonvilles, 38 % des populations étudiées continuent à vivre dans des logements de ce type. Selon ONU-Habitat, l'Afrique compte dans son ensemble le plus grand nombre de personnes habitant dans des informels au monde. L'organisation signale également que ces dernières décennies, les villes d'Afrique du Nord ont accompli des efforts substantiels qui leur ont permis de réduire ce pourcentage (Casablanca, par exemple, possède le chiffre le plus faible de l'Index : 15% selon les estimations contre 25% pour Tunis), mais que l'énorme croissance de population prévue en Afrique subsaharienne menace d'exacerber les problèmes dans de nombreuses villes. Transport et gestion des déchets En ce qui concerne la catégorie « Transport », selon ce rapport, en moyenne, les 15 villes comptent 2,7 km de transports publics (lignes de bus officielles) par km2. Elles possèdent également une moyenne de 0,07 km de lignes de transports publics dédiés, c'est-à-dire métro, tram ou bus express ; c'est moins que dans les villes d'Amérique latine (0,1 km / km2) et d'Asie (0,2 km/km2) étudiées dans les précédents Index. Seule Le Caire obtient la note maximale pour les investissements qu'elle a consentis en vue de réduire les émissions générées par le transport en commun urbain, et seules trois villes (Le Cap, Dar Es-Salaam et Tunis) obtiennent la note maximale pour leurs efforts de promotion des moyens de transport plus écologiques comme la marche ou le vélo. Pour ce qui est des déchets, les chiffres de production vont de 160 kg par habitant et par an à Addis-Abeba à plus de 1.000 kg à Pretoria. En moyenne, chaque citadin africain génère 408 kg de déchets par an (Tunis génère à elle seule 173 kg par habitant et par an), un volume inférieur à celui constaté dans l'Index d'Amérique latine (465 kg), mais supérieur à celui d'Asie (375 kg). Les comparaisons entre continents doivent toutefois être traitées avec prudence, car en Afrique, il est souvent impossible de dire si les statistiques incluent les déchets produits par les logements informels. Par contre, le recyclage devient de plus en plus courant sur le continent : neuf villes ont mis en place des points de collecte sur site ou centralisés, et une ville supplémentaire, Dar Es-Salaam, prévoit d'installer des points de collecte centralisés. Eau, assainissement et qualité de l'air En revanche, la consommation d'eau à Tunis selon l'Index est de 299 litres par personne par jour alors que celle des villes africaines est relativement faible. Ainsi, les villes de l'Index consomment en moyenne 187 litres d'eau par personne et par jour, soit moins que celles de l'Index d'Amérique latine (264 litres) ou que celles d'Asie (278 litres). Le taux d'accès à l'eau potable est de 91 %, mais la définition du terme « accès» n'implique pas nécessairement le raccordement direct à l'eau courante ni une disponibilité 24 heures sur 24 et peut inclure le simple accès à un robinet communal. Les taux de fuite, à 30 %, sont élevés : plus qu'en Asie (22%) mais pas autant qu'en Amérique latine (35 %). Pour ce qui est du taux d'accès à l'assainissement, celui-ci varie énormément d'une ville à l'autre, les estimations allant de 49 % à Maputo à 99 % à Casablanca. Outre la nécessité d'accroître ce taux d'accès, les villes sont généralement confrontées à des problèmes de mise en œuvre des codes et politiques d'assainissement ainsi que de traitement des eaux usées avant leur déversement. En moyenne, 84 % des habitants des villes de l'Index africain ont accès à l'assainissement mais, comme pour l'accès à l'eau potable, la définition n'inclut pas nécessairement le raccordement au réseau d'égouts. Le type d'accès diffère également fortement d'une ville à l'autre. En matière de politique, les villes africaines ont tendance à rester à la traîne : seules quatre villes obtiennent la note maximale pour avoir un code couvrant les normes et l'infrastructure d'assainissement et, si treize villes ont effectivement mis en place des normes concernant le traitement des eaux usées et procèdent à une certaine surveillance, seules six d'entre elles obtiennent la note maximale pour leurs efforts dans ce domaine. Les politiques existantes ne sont par ailleurs pas suffisamment respectées. Par exemple, seule notre capitale «Tunis» procède à une surveillance régulière des installations de traitement sur site (dans les foyers ou les espaces communs) et dix villes n'effectuent qu'une surveillance très limitée de ces sites, voire ne les surveillent pas du tout. Finalement, l'Index indique, dans la catégorie «Qualité de l'ai», que toutes les villes sud-africaines terminent au dessus de la moyenne dans cette catégorie et obtiennent la note maximale pour leurs codes de qualité de l'air et leur surveillance de la pollution ; à l'exception d'une seule, elles obtiennent aussi toute la note maximale pour leurs normes concernant certains polluants. Par contre, les quatre villes d'Afrique du Nord sont légèrement moins actives que celles d'Afrique du Sud, mais Tunis et Casablanca restent au-dessus de la moyenne, alors que les deux autres (Le Caire et Alexandrie) se situent dans la moyenne.