Il s'appelle le charançon rouge ou encore le tueur du palmier. L'insecte ravageur n'a encore touché visiblement que les parages du palais présidentiel de Carthage. Et ce n'est pas par hasard. Selon les premiers soupçons des spécialistes, la contamination vient de l'importation illégale de palmiers d'ornementation sous la responsabilité de personnes de l'entourage de l'ancien président... Jusqu'où peut aller le tueur du palmier et y a-t-il un risque qu'il attaque nos palmiers dattiers ? Enquête auprès des services spécialisés du ministère de l'Agriculture. Fin décembre, début janvier. Les habitants de Carthage ne pouvaient pas se douter de l'utilité des engins et du remue-ménage peu ordinaire qui entourent les palmiers de l'avenue principale. Quelque trente cinq canariens sexagénaires de l'espèce «Phénix Canariensis» qui faisaient partie intégrante du paysage avoisinant le palais présidentiel sont abattus. Les plus attentifs des riverains pouvaient penser à une mort naturelle ou juste une opération de rajeunissement. Mais ce n'est pas le cas. Sommets débarrassés de leurs palmes, pulvérisés de l'intérieur et enveloppés de toile étanche, troncs sectionnés, les palmiers sont scrupuleusement abattus puis transportés au loin pour être incinérés... Inhabituelle, l'opération ne manque pas d'étrangeté. De source proche du ministère de l'Agriculture, on apprend alors vaguement qu'un mal incurable et contagieux inconnu sous nos cieux, vient d'atteindre nos palmiers... Une cellule de crise, des réunions et une stratégie en deux étapes sont engagées afin de parer à l'urgence et circonscrire le cercle du mal. Pour en savoir davantage, il aura fallu convaincre les services spécialisés du ministère de l'Agriculture plutôt enclins à ne pas alerter l'opinion. Il s'avère alors que s'il n'y a pas de raisons de tirer une réelle sonnette d'alarme, il y a bien d'autres raisons pour informer le citoyen de la juste dimension du phénomène et de sensibiliser quant à sa limitation... Qui est le tueur du palmier et d'où vient-il ? On en ignorait jusqu'à l'existence. : le charançon est un petit scarabée rouge mesurant un à deux centimètres qui attaque le sommet du palmier et l'infiltre par les moindres blessures et autres entrées. Pendant ses cinq stades larvaires, l'insecte vit à l'intérieur du tronc et s'introduit au plus profond de l'arbre où il creuse des galeries et ronge le cœur du palmier. Si l'attaque est faible, l'arbre peut être traité et sauvé. Mais en cas d'attaque forte, l'arbre ne tient plus. Il ne mettra pas plus de deux à trois ans avant de dépérir. Entre temps, plusieurs générations de charançons se seront succédé dans les profondeurs du palmier. Atteignant l'âge adulte, l'insecte va voler de ses propres ailes, se déplacer vers d'autres arbres, s'attaquer à d'autres sommets pour s'y introduire et s'y multiplier. A l'air libre, sa course infatigable peut atteindre une distance limite de sept kilomètres. Le charançon ne peut être définitivement détruit que par l'épreuve du feu. L'histoire du charançon rouge du palmier est relativement récente. Il a été identifié pour la première fois au début des années 80 quand il a attaqué des espèces de palmiers en Inde et dans le continent asiatique en général. Lors des années 90, il a fait des ravages parmi les palmiers dattiers des pays du Golfe avant de sévir en Egypte. Il y a trois ans, il a attaqué quelques pays de l'Europe du Sud, le sud de la France et l'Espagne en particulier. Parti d'Espagne, il est arrivé au Maroc et depuis l'Egypte, il vient d'atteindre la Libye... Ses arbres hôtes ce sont toutes les espèces de palmiers. Son moyen privilégié de voyage à travers les pays et les continents c'est l'exportation et l'importation de plants de palmiers d'ornementation... Mais comment donc a-t-il pu atteindre la Tunisie qui interdit légalement l'importation de toute espèce de palmier ?... Des soupçons envers des hors-la-loi de l'entourage de l'ancien président... M. Bouzid Nasraoui est directeur général de la protection et du contrôle de la qualité des produits agricoles au ministère de l'Agriculture. Avec le laboratoire de quarantaine, le ministère de l'Equipement, l'armée, la mairie de Carthage et toutes les Crda du pays, il coordonne depuis peu un plan d'urgence contre l'insecte ravageur. Il affirme : «Depuis plus de vingt ans, la loi sur la protection des végétaux interdit l'importation de toutes les espèces de palmiers en Tunisie. C'est pour cela qu'aujourd'hui, tous nos soupçons s'orientent vers l'introduction clandestine de variétés de palmiers d'ornementation par les gens influents proches de l'ancien président qui contournaient la loi en toute impunité... Ce sont ces variétés illégalement importées qui ont infesté nos vieux palmiers !». De source proche de la Mairie de Carthage, la même hypothèse est retenue. M. Yadh Abbès directeur de l'opération de lutte contre le charaçon... Il revient au personnel de cette municipalité d'avoir relevé la dégénérescence de plus en plus fréquente qui touche depuis deux ans certains palmiers de l'avenue principale de Carthage. Alertés, les services spécialisés du ministère de l'Agriculture viennent d'initier un plan d'urgence en deux temps et d'abattre trente cinq arbres infestés. Quelle que soit sa provenance, le tueur du palmier est l'objet du même combat : mêmes méthodes de lutte internationale, mêmes techniques de traitement, abattage et incinération. Beaucoup de nos ingénieurs qui ont travaillé dans les pays du Golfe ont déjà expérimenté ces techniques et sont en train de les appliquer. Lutte obligatoire et autres dispositions pour protéger nos palmiers dattiers «Depuis notre réunion lundi, nous lançons la deuxième étape du plan d'urgence, explique M. Nasraoui. Elle consiste à inspecter minutieusement arbre par arbre dans toute la région de Carthage : un millier de palmiers environ qu'il faudra contrôler notamment en posant un piégeage de masse. Dans l'intérieur du pays, les Crda et les agriculteurs devront vérifier la présence éventuelle de l'insecte ravageur». Objectif : circonscrire le risque de son extension au sud du pays qui serait fatale pour nos palmiers dattiers. Pour cela, deux moyens seront mis en œuvre parallèlement : le premier est l'interdiction de transporter tout plant de palmier du nord vers le sud du pays. La seconde disposition consiste en un arrêté ministériel rendant obligatoire la lutte contre le charançon du palmier. Le texte oblige les citoyens à traiter ou abattre l'arbre infesté. Car l'insecte peut se nicher tout aussi bien dans les palmiers de rue, les oasis que les jardins privés ! Il est évident que ces dispositions n'acquièrent de sens qu'une fois accompagnées d'un travail d'information et de communication sur lequel le ministère de l'Agriculture n'a pas encore avancé. La question reste également posée sur la dimension réelle du fléau et du risque qui menace objectivement le Sud tunisien. Là dessus, le centre régional de recherche en agriculture oasienne de Dégache ainsi que le centre technique des dattes de Kébili répondent unanimement : «RAS : aucune anomalie n'a encore été signalée. Ici, le charançon ne passe pas inaperçu. S'il était présent, il aurait vite été dépisté...», estiment les chercheurs et les techniciens des deux institutions spécialisés dans la vie du palmier. Cela n'empêche pas les services du ministère de l'Agriculture d'appeler à la vigilance citoyenne. Appel qui impose, avant tout, un grand travail de communication. Seul moyen pour que «la malédiction» de Carthage n'aille pas plus loin !