Par Habib CHAGHAL(*) MMoncef Marzouki, président de la République en exercice,avait pris une décision judicieuse en demandant le départ de l'ambassadeur syrien, prévenant ainsi une tentative de certaines milices, à la solde (au sens propre)de certains milieux politiques, d'occuper les locaux de l'ambassade et d'y saccager le mobilier et le matériel de communication, comme ce fut le cas, à la veille de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, dans plusieurs capitales du monde, et notamment au Caire. M. Marzouki fait ainsi d'une pierre deux coups : répondre à l'appel du Qatar et de son ami Ghallioun afin d'isoler politiquement le régime syrien et préserver dans le même temps les finances publiques tunisiennes censées, par les conventions internationales, réparer tous les préjudices matériels qu'aurait subis l'ambassade. Les médias comme c'est souvent le cas depuis deux mois, ont trouvé dans la décision du gouvernement de rompre avec le régime syrien matière pour hausser le ton et montrer l'incompétence des dirigeants actuels face à cette question de politique étrangère.Ce qui est surprenant, c'est que la décision du gouvernement Essebsi d'intervenir directement et d'une façon décisive dans la chute du régime libyen après la visite de l'ancien Premier ministre au Qatar n'avait pas soulevé d'opposition de la part de ceux qui soutiennent aujourd'hui une diplomatie prudente et des réactions graduelles. Le parti Ennahdha, qui est majoritaire dans le gouvernement actuel, avait soutenu l'intervention en Libye,pourtant risquée,et en l'absence d'une réaction négative de la part des médias n'a pas hésité à exiger aujourd'hui du ministre des Affaires étrangères la rupture avec le régime syrien — avec l'assentiment d'un président déjà impliqué avec le Conseil d'Istanbul — et proposer la réunion des «amis» de la Syrie à Tunis à la fin de ce mois La décision de rompre avec la Syrie est-elle cependant préméditée? La manière dont elle a été prise le jour même de la réunion du Conseil de sécurité semble le supposer,car les arguments présentés par le porte-parole de la présidence pour justifier le timing ,à savoir le massacre de centaines de Syriens le jour du «mouled» dont les images ont été diffusées par les chaînes de télévisions impliquées dans une guerre médiatique,témoignent d'un amateurisme qui n'est pas digne de la diplomatie tunisienne. En effet, alors que ce même porte-parole expliquait les mesures prises depuis quelques mois en vue de sauvegarder les intérêts d'une colonie tunisienne de près de deux mille ressortissants ,il ne s'est nullement référé aux rapports de notre ambassade pour confirmer ou infirmer l'ampleur de ce «massacre» facile à faire vérifier par nos diplomates en raison de la présence de milliers de nos ressortissants en Syrie.Emporté par l'euphorie de la décision prise contre un régime despotique,le porte-parole de la présidence s'est permis de prendre l'exemple de Bourguiba qui avait soutenu Mandela contre le régime de l'apartheid pour justifier cette décision.Comparer le régime esclavagiste de Pretoria au régime de Damas, c'est nous prendre pour des ignorants de l'histoire. Ce qui agacerait le gouvernement dans cette crise syrienne,ce sont les positions de la Russie et de la Chine,et ils auraient certainement envie de leur demander de quoi ils se mêlent.Les peuples arabes n'ont-ils pas le droit de vivre en démocratie comme la plupart des autres nations ? Et, quand bien même l'Occident trouverait son intérêt stratégique dans la chute des régimes arabes dictatoriaux, faudrait-il condamner les peuples arabes à se soumettre éternellement au despotisme? Enfin,à supposer que l'Occident, et notamment les USA, ait pris la décision d'appuyer les «frères musulmans» pour prendre le pouvoir dans tous les pays arabes, mettant ainsi fin à leur hostilité aux islamistes ,en quoi cette nouvelle politique occidentale gêne-t-elle la Russie et la Chine? L'opposition de certains milieux politiques à la décision du gouvernement tunisien de rompre avec la Syrie témoigne d'une prise de conscience de l'enjeu stratégique pour les grandes puissances de la crise syrienne .Pour toute personne avertie, la Syrie a une position clé dans l'agenda occidental de déstabilisation de la région,et cet agenda ne date pas d'aujourd'hui. Après l'Irak, le Soudan, l'Egypte, la Libye c'est le tour de la Syrie, mais la série ne s'arrêtera pas à ce pays. La Russie et la Chine l'ont compris et c'est pour cela qu'elles s'opposent à la déstabilisation du régime de Bachar Al-Assad qui a des chances de s'en sortir mais à quel prix? Avec les vétos russe et chinois, nos responsables devraient comprendre que les enjeux du conflit dépassent largement les ambitions de notre pays qui n'a nullement les moyens de s'impliquer dans ce conflit international. Pourtant, au nom de la morale et de la solidarité révolutionnaire et islamiste, ils nous ont engagés à fond dans ce conflit au point de lancer un appel à tous tous les pays du monde les invitant à rompre avec le régime syrien.Il est certain que la Micronésie et le Vanuatu ne répondront pas à l'appel, bien que ces deux Etats s'empressent à chaque occasion de voter au Conseil de sécurité en faveur d'Israël, l'unique bénéficiaire de la déstabilisation de la Syrie tout heureux de renvoyer aux calendes grecques la solution du problème palestinien. Ce n'est certainement pas le président d'Ennahdha qui me démentira sur cet objectif immédiat de la politique occidentale à propos de la crise syrienne. *(Diplomate retraité)