• Avec cet équilibre délicat entre l'actualité des faits ressentis et la distance de l'écriture, voici une chronique exacte des trois mois qui ont précédé le sacrifice de Bouazizi. Préfacé de main de maître par Youssef Seddik, E la nave va, vers une Tunisie libre?, l'ouvrage de François-Gustave Bussac se présente sous forme de chroniques écrites dans le feu de l'action et le vif du sujet des événements survenus en ce mois de janvier 2011 qui ont embrasé un pays résolument pacifiste, mais plus que jamais décidé à en découdre avec un régime corrompu, dont les excès étaient devenus plus qu'insoutenables. «Voilà que la flamme née à Sidi Bouzid, il y a à peine six semaines, éclaire tout l'Orient et que le millénaire Egypte tremble et rugit. Et d'autres dictateurs arabes encore frémissent de peur. Les Tunisiens ne sont plus seuls. Le monde les regarde. C'est un excellent stimulant», écrit l'auteur. Contre l'arbitraire d'un président aux multiples et nombreuses ramifications familiales, corrompues les unes plus que les autres, que les Tunisiens se sont soulevés et ont fini par avoir raison de lui et de son régime abhorré et exécré. Les étincelles ont atteint l'ensemble ou presque des pays arabes. On a vu depuis des régimes, jusque-là aux assises solides et stables, commencer à vaciller, puis s'effondrer comme sous un effet domino... Le goût amer de la victoire François-Gustave Bussac ne pouvait pas ne pas connaître et aimer cette Tunisie, ne serait-ce que par les récits faits et commentés par sa mère qui a vécu de 1910 à 1920 dans le Sud tunisien ; elle était la fille du héros, Le Jardinier de Métlaoui. L'auteur a séjourné en Tunisie, et ce, depuis 2004 en tant que directeur des médiathèques françaises en Tunisie. Depuis qu'il est à la retraite, il a continué à vivre dans ce pays en s'installant à La Goulette, tout près du canal, sur les rives de la Méditerranée. Cette chronique s'est écrite au fil des événements vécus intensément par l'auteur amoureux d'une Tunisie qu'il n'a pas voulu quitter même aux heures les plus sombres qui ont vu s'écrouler des décennies d'obscurantisme d'un régime érigé en modèle de bonne gouvernance. L'auteur y évoque avec beaucoup d'émotion l'appel lancé par les artistes venus manifester pacifiquement et dénoncer la répression sauvage qui s'est abattue sur des innocents, assassinés froidement par un pouvoir sanguinaire et usurpateur, ainsi que les violences physiques dont étaient victimes des artistes de renom, entre autres Jalila Baccar et Raja Ben Ammar. Y est également question de la fuite du «grand voleur accompagné de toute sa smala qui a régné, invisible et tentaculaire, sur une Tunisie bénie des dieux». Libérée de la chape de plomb, la Tunisie réapprend à vivre malgré quelques conacs et voix discordantes, hostiles au rôle joué par la femme dans la société moderne activement encouragée par le président défunt Habib Bourguiba. Que de noms évoqués ici ; il y va de Hélé Béji avec Arts Libris, Mama Lili, la maman de Jacob Lellouche, Sihèm Ben Sédrine, Tahar Ben Ammar, André Marzouk, le peintre qui aimait à répéter les maximes de guirlande du sage Ostand Elahi : «La prière ne doit pas se réduire à répéter des formules. Elle doit être à la fois action, concentration et contemplation». De même, Ali Ben Ghedahem qui avait pris en 1864 la tête de la révolte contre l'autorité beylicale. Par quelle alchimie subtile l'auteur est-il parvenu à démonter la vacuité et l'inanité de ce projet de révolution, courageusement mis à exécution, si jamais il venait à échouer. Sauf que l'auteur semble plus que jamais optimiste sur sa réussite. D'autant que tous les regards sont braqués sur nous. E la nave va , de F-G. Bussac, préfacé par Youssef Seddik. Ed. Arabesques