De Metlaoui, en passant par la rue Linné, Cap-TGM. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Compliqué l'aïeul, ou le petit-fils ? On ne sait pas. Car, les lire, l'un ou l'autre, l'un à travers l'autre, par télescopages ou à rebours, revient à marcher sur les ronces, ou sur des braises ardentes, sans en ressentir la douleur ; la beauté et la tendresse du texte faisant rempart à la cuisante nostalgie qui se dégage de ces quelque 348 pages qui sont en quelque sorte, la quintessence de ces 33 volumes de mémoire qui les ont précédés. patiemment rédigés avec la plume Sergent-Major du grand père Wiesser, et que lira un jour, bouleversé, et n'en revenant pas, François Bussac, ou Barbier, ou le Capitaine, avec la conviction, de plus en plus nette, que sa vie ne pourra plus être la même, à partir du moment où il rejoindra son aïeul, quelque part dans le Sud tunisien, pour revivre avec lui, en un compagnonnage qui revêt d'autant plus de force et d'acuité, qu'il soude deux hommes qui ne se sont, en réalité jamais rencontrés. Irrigués du même sang, pétris de la même chair, et dont les âmes, mystérieusement, ont dû se frôler, le temps d'une accolade, qui aura valeur d'éternité. A partir de là, tout est dit. Non, pas tout, mais l'essentiel. Avec les creux des mots qui comblent le silence, qui suturent les plaies, ou qui les exposent à vif. Et ce n'est pas étonnant que le lecteur se surprenne, en s'immergeant dans l'univers écrit de François Bussac, à tendre une oreille attentive à ce récit captivant, qui vous prend par le bout du cœur, et ne vous lâche plus. Il était une fois, Henri Wiesser, intendant des mines de phosphate de Metlaoui, de 1895 à 1926… Une vie, à l'ombre de la Compagnie, en temps de protectorat, dans la rudesse et l'âpreté du Sud tunisien, mangé par la fournaise, et secoué par les vents secs du désert, où pourtant un homme digne, et droit, cultivera son jardin de Lousif, comme si rien de plus important ne comptait en ce monde, que caresser ses roses, soigner son potager, parler à ses chats, et partager le soir, avec sa solitude, une fois sa famille repartie en France, quelques olives, un bout de fromage de chèvre, avant de s'asseoir, de prendre sa plume, et d'écrire ces mémoires qui traverseront les années, pour qu'un jour son petit-fils, déjà cinquantenaire, puisse se retrouver, comme on se regarde dans un miroir, et que l'on accepte de se dire : voilà ma vérité, et une part de mon âme. Mais il est dit que les mémoires d'Henri Wiesser, ne sont effectivement pas faites pour dormir dans des cartons, fut-ce à l'abri, dans une armoire familiale. Une fois exhumés de l'oubli, et rendus à la vie, grâce à la fidélité opiniâtre d'un autre amoureux de l'écriture et des mots, le petit-fils qui parsème ses parcours d'évocations où la poésie se mêle allègrement à la nostalgie, quelque chose qui ressemble à une ineffable douceur, mais toutes griffes dehors, vous lacère le cœur, avec le regret, étrange et fulgurant, de n'avoir pas rencontré cet homme au courage inébranlable, qui eût encore la force, alors qu'il atteignait les 90 ans, de prendre un train pour Marseille, et un bateau qui accosterait en Afrique du Nord, pour s'en aller mourir en terre d'Islam, convaincu que la paix et la sérénité qui l'ont aidé à vivre, quelque part à côté de son petit paradis de Lousif, aux portes du désert, il ne pouvait les retrouver, ailleurs que sur ces terres, repues de soleil. Et que le reste… « Le jardinier de Metlaoui » ( L'Harmattan, 2009), préfacé par Ali Bécheur, a fait l'objet d'une lecture, fin octobre à Metlaoui, à l'invitation de la Compagnie des phosphates de Metlaoui, où l'ouvrage a été très bien accueilli, la Compagnie ayant par ailleurs, marqué son intérêt, pour éventuellement parrainer la « Lecture au Théâtre » du Jardinier de Metlaoui, projet auquel s'est attelé le « Capitaine », en compagnie de Karim Bouzouita pour la musique, Habib Mansouri pour l'adaptation au théâtre, et Marouane Trabelsi, vidéaste, qui a pris toutes sortes de photos, de la mine et de Metlaoui. François G. Bussac, ou Barbier, ou le Capitaine, tout comme le suggère Ali Bécheur dans la préface, verrait bien le « Jardinier de Metlaoui » au cinéma. Vu la richesse et la profondeur du personnage principal, -Grand-papa Henri Wiesser-, ce n'est pas improbable. C'est même à souhaiter. Qu'il renaisse de nouveau, qu'il caresse ses roses, mange ses olives, soigne ses plantes, prenne le temps de lire comme il aimait à le faire, et sourie sous sa barbe à son petit-fils qui traverse le temps en se rapprochant de plus en plus de lui, arpente la rue Linné et ses amours vermeilles ou grises ; prend le train, choisit sa terre d'élection, fait face à la grande bleue, sort de sa poche un livre qu'il feuillette, pense à Augusta, la petite fille du grand –père qui fut sa mère, à ceux qui sont partis, à ceux qui restent, à ceux qui vous faussent le pas, puis relit ces vers de René Char avant de cacher sous sa barbe et son rire tonitruant, ce qu'il se refuse à dire. Sauf peut-être à un chat mystérieux de Sidi Bou Said, qui le contemple avec ses yeux de Sphynx, ayant tout compris, avant d'aller rejoindre quelques ombres qui courent. « Tu es pressé d'écrire, comme si tu étais en retard, sur la vie. S'il en est ainsi, fais cortège à tes sources, hâte-toi de transmettre, ta part de merveilleux, de rébellion, de bienfaisance »… (René Char). Mais il faut lire le Jardin de Metlaoui… Samia HARRAR * Edition L'Harmattan, Paris : 2009, 348 p.