Par Hamma HANACHI Journée froide d'un hiver ravageur. Hurlements, cris de peur, hautes voix, protestations, la pagaille. Un groupe de personnages circule en tous sens, sortant de la foule en courant, une jeune fille escalade le mur, des mains généreuses qui la soutiennent. A pas rapide, elle atteint une silhouette massive perchée sur un mât. Gestes brusques, l'homme robuste à barbe et en qamis noir bouscule la jeune fille qui remet le drapeau tunisien au sommet. L'image demeurera longtemps dans les esprits, une fille entre dans la légende : à la veille de la Fête de la femme, Khaoula Rachidi a remis à sa place le drapeau rouge et blanc arraché et bafoué par les illuminés extrémistes. Des voix cherchent à étouffer le geste ou tout au moins à le banaliser. Collusion, complicité masquée ? Un crime de plus. Une image richement commentée et partagée circulait sur FB : la liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix. Un photomontage montre la femme au premier plan, la tête tournée, portant le drapeau tunisien en lieu et place du drapeau français, femme décidée, combative, cheveux au vent, le regard sûr et la poitrine à moitié nue. Le hasard, fait que par un geste héroïque, une jeune étudiante reproduit la symbolique de la scène. On n'oubliera pas. ************ Combien de fois avons-nous déploré le manque d'encouragement à la création, regretté l'absence de politique de mécénat, de protecteurs financiers pour accompagner les artistes ou leurs études. Kamel Lazâar, façonné par la banque (en Suisse), fasciné par l'art, est à la tête d'une fondation éponyme, il a fait une entrée discrète mais efficace dans l'arène artistique : l'acquisition d'une collection d'œuvres contemporaines, des rencontres entre intellectuels et amateurs, une oreille attentive aux jeunes créateurs, une maison dans la médina ouverte à l'art et des projets qui font rêver. Aujourd'hui, il ajoute une corde à son violon: la publication de livres. Une rencontre a réuni des universitaires et les responsables de la collection «Ibraaz perspectives» «et non pas une maison d'édition», précise Fethi Triki, directeur du projet. 12 livres pour cette année en collaboration avec Wassiti Edition, le double l'année prochaine. Parus déjà, Recherches relatives à l'Histoire du monde musulman à l'époque médiévale de Radhi Daghfous, Le charme du vivre-ensemble (nous traduisons) de Fethi Triki. Le projet s'ouvre vers les pays voisins et publie Le corps de l'autre du Marocain Farid Zahi, auteur de nombreux écrits sur l'art marocain et arabe traducteur de Abdelkebir Khatibi. Et pourquoi donc une collection ? «Parce que le livre est l'âme d'un pays, l'humain passe, le livre reste», répond Lazâar. Le rapport de l'Unesco sur la lecture dans le monde arabe est atterrant, «le temps de lecture des Tunisiens est de moins de 10minutes par jour», relève dans son intervention, Hmaïd Ben Aziza, professeur de philosophie. Affligeant ! ************ Le concept est né dans les années 60, la génération baby-boom en a fait une conduite de vie, les bobos, les altermondialistes, les anticapitalistes ont rallié le mouvement qui fait une percée remarquable dans les années 2000, des Ong, des associations poussent, des marques voient le jour, des célébrités s'y accrochent, Vivienne Westwood, grande figure de la mode et anti conformiste donne l'exemple, elle achète des sacs de jute chez une tribu au Kenya qu'elle transforme en vêtements pour happy few. Cela s'appelle commerce équitable. Amel Djaït, du cran, de l'esprit, elle dirige un site de tourisme alternatif, sillonne le pays, visite des maisons d'hôtes et des gîtes ruraux, goûte la cuisine traditionnelle ou fusion, découvre des restaurants typiques, des boutiques originales, des produits d'artisanat, des variétés de miel, des huiles labellisées, bref toutes les niches qui font la Tunisie et les Tunisiens. La somme de ses récoltes paraît aujourd'hui en version papier. Ses incursions chez les artisanes, ses rencontres avec les agriculteurs, ses discussions avec les commerçants honnêtes, ses visites aux petites coopératives l'ont naturellement amenée à créer le premier site de vente conforme à la charte du commerce équitable, www.tunisie-equitable.com. La philosophie repose sur des principes généreux, au premier desquels le rapport juste entre producteur et consommateur, la démarche est marginale, soit, mais ne manque pas de noblesse. Elle n'est pas belle la solidarité!
