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Ibn Khaldoun, ou la victoire sur la désolation
Figures et concepts
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 03 - 2012

On doit aux grands voyageurs les grandes théories qui ont révolutionné la pensée humaine. Nous avons évoqué ici, dans cette même chronique, deux figures qui appartiennent au monde grec: Thalès, dont l'origine est phénicienne et qui a vécu une grande partie de sa jeunesse en Egypte, et Solon, qui a été un commerçant sillonnant les mers avant de faire de la politique et de fonder la démocratie athénienne... Rappelons que, s'agissant de Thalès, il est l'initiateur de la toute première expérience d'une approche métaphysique du monde, c'est-à-dire d'une explication de l'Etre à partir de ce qu'il est convenu d'appeler ses premiers principes et ses première causes.
Abderrahman Ibn Khaldoun est aussi un grand voyageur. Il l'est à un double titre. D'abord parce qu'il a fait preuve d'une très grande mobilité durant son existence. Né à Tunis en 1332, il se retrouve à Fès, au Maroc, à la fin de l'année 1354, donc à l'âge de 23 ans, puis s'établit à Grenade, dernière enclave de l'Espagne musulmane, en 1362. En 1365, lassé d'une vie fastueuse et craignant les intrigues, il se rend à Béjaïa, dans l'actuelle Algérie, puis il est à nouveau à Fès en 1372, après avoir fait de courts séjours à Tlemcen et Biskra. En 1374, il se retire dans un village berbère non loin de Tiaret, doté d'une forteresse : il a alors 42 ans et c'est là, dans cette retraite montagneuse, sous la protection de la tribu des Aouled Arif, qu'il rédigera sa Muqaddima, laquelle est en réalité la première partie de son Livre des Exemples. Il demeure là quelque trois ou quatre ans puis rejoint Tunis, sa ville natale. Mais, à nouveau, l'appel du large le saisit et il prend la route du Caire en 1382... C'est dans cette ville qu'il achèvera le parcours tumultueux de sa vie en 1406, mais il aura quand même eu le temps, avant de s'embarquer pour le grand voyage, de visiter Jérusalem, de faire le pèlerinage à la Mecque en 1387 et d'être à Damas à la fin de 1400 lorsque cette ville est assiégée par l'armée de Tamerlan.
Un ami du tourbillon
Mais, disions-nous, Ibn Khaldoun est un grand voyageur dans un autre sens, qui commande peut-être le premier. En effet, il est issu d'une famille qui est marquée par l'expérience du déracinement. Un peu plus d'un siècle avant sa naissance, cette famille figurait encore au nombre des maisons les plus influentes de Séville, en Andalousie. Elle a assisté impuissante à l'avancée irrésistible des armées chrétiennes. Sa migration vers le Maghreb, qui la conduit finalement vers la capitale hafside, porte en elle le poids d'un drame d'autant plus douloureux qu'il est vécu dans la clairvoyance des tenants et aboutissants d'une situation politico-militaire désespérée. On ne peut douter de l'impact profond que ce départ a laissé dans l'âme collective des Banou Khaldoun : celui d'un échec qui appelait une réponse. Le voyage est ici une expérience d'arrachement et de désolation. Il est aussi, pour cette raison, secrète promesse d'une reconquête, ou promesse d'une secrète reconquête : la nuance n'est pas anodine... Ce que nous pouvons illustrer par l'épisode qui suit : lorsqu'Ibn Khaldoun se trouve à Grenade, le sultan lui confie la mission d'aller négocier un traité de paix avec Pierre Ier de Castille, qui est alors établi à Séville. Il s'y rend et s'acquitte tellement bien de son rôle que le prince chrétien cherche à le retenir : ce dernier lui propose même de lui céder la possession des anciennes propriétés de sa famille, que le jeune Ibn Khaldoun a d'ailleurs su retrouver grâce à des indications qu'on lui a fait parvenir. Or, il est significatif de noter que notre homme se montre très peu sensible à cette offre. A vrai dire, la reconquête n'est pas de cet ordre: elle a une dimension plus large. Elle n'est pas volonté de restituer ce qui a été perdu, ni le domaine familial, ni le domaine de l'Andalousie toute entière d'ailleurs. Car ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement la possession d'un domaine, c'est la maîtrise de cette possession. Voilà ce qu'il s'agit de retrouver... Toute sa vie, et à travers les multiples expériences politiques qu'il aura à traverser, Ibn Khaldoun n'aura de cesse de réfléchir aux conditions qui permettent de s'assurer de la pérennité d'une possession politique. Ce qui l'amènera pour les mêmes raisons à envisager toutes les causes possibles de sa fragilisation. Et le hasard de son époque voudra qu'il n'aura pas besoin de faire un grand effort d'imagination pour envisager cette situation de fragilité des sociétés politiques : le Maghreb du XIVe siècle est le théâtre d'une suite ininterrompue de chutes de pouvoirs dans un jeu d'alliances et de contre-alliances. Lui-même sera pris dans ce tourbillon et ne sera pas toujours épargné par le sort : il goûtera à la disgrâce, à la prison même et plus d'une fois aura à prendre la fuite pour sauver sa vie. Mais tout se passe comme si ce tourbillon était son élément propre : celui dont il a besoin pour, à partir de lui et dans sa fréquentation, en quelque sorte, extraire le secret de son antidote...
La joie du savoir
En même temps que Ibn Khaldoun cherche une réponse à la question de la pérennité et de la santé des sociétés politiques, il tente aussi d'en trouver une à celle de cette malédiction de l'homme qui ne parvient pas à trouver le repos dans un lieu, à y plonger ses racines et à y laisser fleurir ses branchages. Ces deux réponses se rejoignent, en réalité. Toutefois, l'enquête qui permet d'y mener, si elle est commandée par le besoin de conjurer une double malédiction, ne se déploie pas elle-même sous le signe de la malédiction. Bien au contraire, l'œuvre de Ibn Khaldoun est une expérience de mobilisation du savoir qui s'accomplit sous le signe de la joie. Il sent, en effet, que face à l'inconstance des événements, il a la clé qui permet d'inoculer de l'intelligibilité et de rendre manœuvrable ce qui se présente de prime abord comme impondérable.
Il s'agit, en quelque sorte, d'une revanche sur le destin mais qui prend tout d'un coup une dimension heuristique d'une importance décisive, celle de la découverte d'une méthode de lecture de l'histoire qui est tournée vers la construction de la civilisation. L'historien n'est plus un simple chroniqueur. Il n'est même plus ce chroniqueur évolué qui établit des rapports de causalité entre les événements sur le modèle de ce que le physicien fait en observant les phénomènes de la nature. Non, il est plus que cela : il est tendu désormais vers le projet de construire sur des bases solides une société politique : une société qui possède les attributs de sa pérennité dans la mesure où elle dispose désormais de la science de ses fragilités.
Une revanche à portée universelle
Ibn Khaldoun est donc un homme qui fait l'expérience du voyage, comme Thalès et comme Solon, comme Descartes aussi, bien plus tard, mais il fait cette expérience selon une façon très particulière, une façon où le bonheur et le malheur se mêlent en une lutte dont l'issue est une victoire sur le destin, et où le destin n'est pas seulement celui de l'homme Ibn Khaldoun, mais celui de l'homme tout court... Car l'évocation de la société politique maghrébine, qui nourrit en grande partie les développements du penseur, ne sert ici que d'exemple, que d'exemple extensible et universalisable, où il s'agit toujours pour l'homme de se rendre maître de l'histoire, de convertir l'insaisissabilité de ses aléas en un projet de civilisation intelligible et pérenne.


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