Mohamed Ali Nahdi (acteur et metteur en scène) : Nous continuerons à fêter le théâtre, malgré tout Mohamed Ali Nahdi, acteur et metteur en scène de cinéma et de théâtre, était, lui aussi, présent, hier, lors de la fête de la grande famille théâtrale gâchée par les salafistes. Il tient à nous livrer ses impressions en soulignant: «Il ne fallait pas que le ministère donne son accord pour deux manifestations qui se dérouleraient le même jour et sur les mêmes lieux. Des salafistes face à des artistes, c'est comme si on cherchait sciemment la confrontation. Il était prévisible qu'ils n'allaient pas s'arrêter à l'horloge de l'avenue Bourguiba, le champ où il leur était permis, selon la police, de manifester. Et même s'ils ont réussi à gâcher notre fête, nous ne nous arrêterons pas et nous célébrerons le théâtre encore et encore. Tout simplement parce qu'on a besoin du théâtre. Ce qui m'a choqué, ce sont les expressions d'agressivité gratuite que j'ai remarquées sur les visages de certains salafistes. A les voir, on sentait la manipulation et parmi eux on pouvait découvrir ceux qui manifestaient spontanément parce qu'ils croyaient bien faire, ceux qui donnaient l'impression qu'ils étaient payés pour être là et ceux qui étaient tout simplement sous l'emprise des meneurs». Mohamed Ali Nahdi est convaincu que «la Tunisie appartient à tous les Tunisiens, que chacun est libre de manifester et que deux manifestations peuvent avoir lieu dans la même rue, sans confrontation ni provocation. Pour moi, la violence est une ligne rouge qu'il ne faut jamais franchir. Je suis malheureux et attristé de voir les salafistes respirer la victoire quand les forces de l'ordre nous ont demandés de regagner le Théâtre municipal afin d'éviter que la violence ne dégénère. C'était malheureux de les voir jubiler en nous traitant de mécréants et d'ennemis de la religion». Habib Belhédi (artiste) : La violence, une ligne rouge à ne jamais franchir Habib Belhédi, figure connue de la scène artistique, a assisté à toutes les péripéties de la mascarade orchestrée par les salafistes à l'encontre de jeunes comédiens venus célébrer, à leur manière, sur l'esplanade du Théâtre municipal, à l'avenue Habib-Bourguiba, la Journée internationale du théâtre fêtée le 26 mars de chaque année. Il tient à apporter son témoignage sur les désolantes scènes de violence et d'intimidation qui ont ciblé «les pauvres artistes et qui ont fini par produire l'effet recherché, à savoir gâcher la fête des théâtreux». «D'abord, souligne-t-il, il est incompréhensible et curieux que le ministère de l'Intérieur accorde l'autorisation à deux manifestations appelées à se dérouler sur la même place, c'est-à-dire devant le municipal : les artistes du théâtre, d'une part et les salafistes d'autre part». Comment les événements se sont précipités pour aboutir aux scènes de violence ? Habib Belhédi précise que les «salafistes ont commencé par détruire les marionnettes, ont attaqué les tentes d'animation et ont lancé sur les festivaliers (composés dans leur majorité d'enfants et de jeunes) des œufs et des pommes puis ont encerclé les artistes avant que la police n'intervienne et n'essaye de les empêcher de poursuivre leur razzia et d'aller encore plus loin». Après avoir vu les salafistes parlementer avec les forces de l'ordre durant plus de deux heures, les organisateurs de la manifestation célébrant la Journée internationale du théâtre croyaient que les choses allaient se décanter. «Malheureusement, ils sont revenus après avoir quitté la place et ils étaient près de 3.000 à nous qualifier de mécréants et à hurler que le théâtre était une activité de débauche. Et ils ont fini par réussir leur coup : notre fête était bel et bien gâchée». «Pour moi, poursuit notre interlocuteur, chaque citoyen, quelles que soient son orientation ou ses idées politiques, a le droit de manifester et de faire entendre sa voix sans, toutefois, porter atteinte à la liberté des autres. Agresser des enfants et des jeunes artistes est un comportement condamnable et inadmissible. Les salafistes sont libres de manifester mais la violence constitue la ligne rouge que personne ne doit dépasser. L'avenir de la Tunisie dépend du respect de cette ligne et il faut que le gouvernement réagisse fermement face à cette machine de la violence et de la haine qui menace tout le monde. Il est grave qu'en cette période de transition, une partie de la société parvienne à imposer sa vision, son comportement et ses pratiques au reste des forces et composantes de cette même société, en usant de la violence».