On les savait extrémistes, on les savait intolérants, mais on ne les savait pas autant bornés, au point de dépasser le seuil de l'intolérable. Du moins pas encore… Pourtant, c'est ce qu'ils ont fait, avant-hier. Ils ont tailladé, par le passé, des jambes, jeté de l'esprit-de-sel aux visages et même tué—par inadvertance ont-ils dit—, mais crédules, nous avons mis cela sur le compte d'un régime qui leur interdisait, comme à tous ceux qui n'allaient pas dans son sillage, la parole, qui leur refusait le droit d'exister, même en tant que courant. Hélas, nous ne dirons pas de pensée, encore moins politique, vu ce qui s'est passé dimanche en fin d'après-midi au CinémAfricArt! Les "post" sur Facebook affluaient… la salle de cinéma du centre-ville est attaquée par un groupe de barbus brandissant des drapeaux noirs et des slogans fondamentalistes. Qui sont-ils? D'où sortent-ils? Ceux qui étaient présents parlaient de scènes dignes du Moyen Age. Cette horde est venue saccager un espace de culture et semer le trouble dans une manifestation programmée par le collectif Lam Echaml, en collaboration avec l'Institut arabe des droits de l'Homme, pour «crier son refus de toute censure, pression, agression… à l'encontre de toute personne qui veut s'exprimer, quelle que soit la forme de cette expression». Le programme prévoyait la projection de deux films : Ni Allah ni maître de Nadia El Fani et en attendant Abou Zayd de Mohammed Ali Attassi. Des artistes devaient témoigner, chacun à sa manière (une chanson, un poème, un sketch…), des agressions qu'ils ont subies. Cette programmation semble avoir déplu à ces inconnus qui se sont autoproclamés les avocats de Dieu et les défenseurs de la religion.Contre qui? Contre quoi? La réaction à cette manifestation ne s'est pas limitée à des agressions verbales. En effet, très vite, les choses ont viré au drame et la violence devint la seule voix qu'on entendait. Les spectateurs ont été menacés de mort, empêchés d'entrer dans la salle…traités de "Koffar" (mécréants). Une attaque rapide, violente et coordonnée s'est faite par des bombes lacrymogènes et des barres de fer. Elle a semé la panique et la peur durant quelques longues minutes: les vitres brisées, le public agressé, les responsables de la salle tabassés! L'agression a provoqué des blessés légers dont Habib Belhédi et Sghaïer Ouled Ahmed. Ces barbus ont envahi la salle, sont montés sur la scène et ont menacé de revenir faire la peau à ceux qui oseraient s'opposer à leur diktat. "L'intervention des forces de police a été tardive et on a procédé à quelques arrestations. La réunion et la projection ont eu, tout de même, lieu dans une ambiance lourde, mais déterminée…" témoigne Mourad Zeghidi, journaliste. Cette agression à l'encontre d'artistes et cette profanation d'un espace culturel avec recours à la force ne sont pas une première pour ces énergumènes, depuis la révolution! On a déjà assisté, peut-être, à pire à la Médina, au Kram et à La Goulette, sans oublier l'agression du cinéaste tunisien Nouri Bouzid en pleine rue…Tous ces actes n'ont pas fait l'objet d'enquêtes sérieuses et voilà que la même scène s'est reproduite dimanche soir, en plein centre-ville, à quelques mètres du ministère de l'Intérieur… Menaces sur le Net Pourtant, ces événements étaient prévisibles et on aurait dû s'y préparer. Une telle violence a été déjà annoncée à plus d'une occasion sur le réseau social et on a assisté à moult reprises à des menaces ouvertes contre des artistes. Certains diront qu'une telle manifestation était une provocation et qu'il fallait s'y attendre en programmant, entre autres, le documentaire de Nadia El Fani Ni Allah, ni maître qui a attisé beaucoup de commentaires haineux sur le Net. Mais, cela n'est pas le propos. Ce qui s'est passé dimanche dernier, au CinémAfricArt, est une pure atteinte à la liberté d'expression et une attaque sans précédent contre la culture de notre pays. La création artistique et le droit de se rassembler autour d'événements culturels est un droit que nul ne doit contester. Loin de toute démagogie, et des slogans brandissant la liberté d'expression et le droit de tout créateur de s'exprimer au-delà de toute censure, ce qui s'est passé le dimanche 26 juin est un coup dur contre l'Etat de droit, et le droit du citoyen à la sécurité. Avec ces barbus qui, à en croire leurs drapeaux et banderoles, font partie des salafistes du parti Ettahrir, on est en plein dans la loi de la jungle et de l'impunité. Les artistes dans cette ère post-révolution seraient-ils devenus les laissé- pour-compte, qu'on agresse sans conséquences? Pourquoi, depuis la première agression en mars dernier, de l'espace de Abdelgheni Ben Tara à la rue Diwan, n'a-t-on pas pris au "sérieux" ces gens et pourquoi les condamnations de tels actes ont-elles été aussi timides? Les artistes seraient-ils devenus des citoyens de seconde zone, dont les droits d'exister et de s'exprimer sont bafoués sans qu'aucune voix ne s'élève pour dire "Non"? La belle leçon à retenir de cette agression c'est que ces obscurantistes n'ont pas eu gain de cause, que les artistes ont pu se défendre et que la manifestation a eu lieu! Les menaces continuent sur le Net, mais heureusement, des groupes de soutien se sont formés et la solidarité entre les artistes s'est manifestée en évidence…en réalité. Asma DRISSI —————————— * Titre emprunté du documentaire de Mourad Ben Cheïkh