La réédition de cet ouvrage, publié en 1990 et rapidement épuisé, trouve toute sa justification dans l'histoire immédiate de la Tunisie où une deuxième République, issue de la révolution du 14 janvier, est en train d'éclore à travers un processus démocratique inauguré par l'élection, le 23 octobre 2011, d'une Assemblée nationale constituante. Dans cette étape décisive mais balbutiante encore, la référence au passé éclaire le présent. Le gouvernement Ladgham fut en effet un exemple d'équilibre du pouvoir exécutif, réparti entre un président de la République et un premier ministre dont le champ d'action dépendait dans une large mesure de la marge de manœuvre accordée par le chef de l'Etat. L'étude de Fouad Lakhoua sur le gouvernement Ladgham (7 novembre 1969-2 novembre 1970) ne manquera pas de satisfaire la curiosité de ceux, nombreux, qui cherchent à mieux connaître l'histoire constitutionnelle et politique de la Tunisie au début des années 1970. Ce travail vaut autant par ses qualités scientifiques que par son intérêt documentaire. La recherche est vigoureusement menée et fort bien étayée grâce à un accès direct à des sources inédites d'informations et de contacts avec certaines personnalités qui ont marqué la vie de l'époque. Cette recherche s'inscrit dans le cadre d'une lecture se voulant autant que possible objective de notre Histoire nationale. Son point de départ est le 7 novembre 1969. Il s'agit là d'une date charnière dans l'évolution du régime constitutionnel tunisien. Ce jour-là, la Tunisie renoue par la création de la fonction de Premier ministre avec le bicéphalisme de l'Exécutif abandonné à la suite de l'abolition de la monarchie le 25 juillet 1957. L'institution d'un gouvernement dirigé par un premier ministre se ramenait-elle seulement à des causes d'ordre conjoncturel ou correspondait-elle réellement à la volonté de renouveler l'organisation du travail au sein de l'Exécutif? Comment se présentait le gouvernement Ladgham et avec quelle autonomie et quelle marge de manœuvre pouvait-il conduire les affaires de l'Etat? Quels étaient à la lumière des circonstances dans lesquelles ce gouvernement avait été constitué, les moyens et les prérogatives dont il disposait pour mener son activité? Pour répondre à ces questions, rappelons que Fouad Lakhoua, licencié en droit public, diplômé des cycles moyen et supérieur de l'Ecole nationale d'administration, titulaire d'un 3e cycle des Sciences politiques, assuma plusieurs hautes fonctions au sein du ministère de l'Economie nationale en tant que directeur général des mines et de la géologie et directeur général de la coopération économique et commerciale jusqu'en décembre 1983 et il est actuellement président de la Chambre tuniso-française du commerce et de l'industrie. Il a commencé par étudier les raisons d'ordre politique et administratif qui ont conduit à la mise en place du gouvernement Ladgham, il en a analysé par la suite et minutieusement du point de vue juridique les prérogatives et les moyens. Il a montré enfin comment l'étendue du champ d'action de ce gouvernement par rapport à celui du chef de l'Etat s'en est trouvée modifiée. En effet, lors d'un séjour de Bourguiba à l'étranger pour des raisons de santé, Bahi Ladgham s'est vu confier du 17 novembre 1969 au 1er juin 1970 «la direction des affaires de l'Etat». Avec le retour de Bourguiba, il a commencé à perdre progressivement une partie de ses prérogatives. C'est dans la limite de cette marge de manœuvre que le gouvernement Ladgham a mené son activité. Ce gouvernement qui n'a duré que 360 jours a été un gouvernement d'inventaire et de transition. A travers ce bilan, l'auteur a démontré combien était précaire et difficile la situation de Bahi Ladhgam en tant que Premier ministre. Cette situation n'était pas en vérité étrangère à sa situation de successeur de Bourguiba. Telle qualité faisait de lui, comme à tous ceux qui lui succéderont, une cible pour ceux tentés par la succession. Le mea culpa de Bourguiba D'anciens ministres et collaborateurs du Président Bourguiba ont fait référence à ce livre consacré à Ladgham. Il en est une du président Bourguiba à propos d'Ahmed Ben Salah, «syndicaliste et, depuis 1961, secrétaire d'Etat au Plan et à l'Economie nationale». Dans le discours du 8 juin 1970 qui a marqué un tournant, Bourguiba s'est livré pour la première fois à son auto-critique. A ce sujet, il dit : «Constitutionnellement, le premier et l'unique responsable c'est moi, Habib Bourguiba. Parce que je suis homme, donc sujet à l'erreur, je me suis trompé, et je le dis en toute modestie. Je demande pardon au peuple et surtout aux militants qui ont été humiliés. Je suis certain qu'ils me pardonneront parce que je sais qu'ils sont convaincus de ma bonne foi… J'ai été abusé par Ben Salah qui me leurrait avec des statistiques leurrées et falsifiées. A tous, je demande humblement pardon». Puisse cette deuxième édition apporter un nouvel éclairage et contribuer à l'édification de nos futures institutions républicaines. *Le gouvernement Ladgham (7 novembre 1969-2 novembre 1970), février 2012 Rabat Jaquette éd.