7 novembre 1969 – 2 novembre 1970 De Foued Lakhoua Oublie-t-on qu'il fut le «premier» Premier ministre de Bourguiba ? La préface de Mohamed Ridha Ben Hammed Histoire de fluctuations L'étude de Foued Lakhoua sur le gouvernement Ladgham (7 novembre 1969- 2 novembre 1970) ne manquera pas de satisfaire la curiosité de ceux, nombreux, qui cherchent à mieux connaître l'histoire constitutionnelle et politique de la Tunisie au début des années soixante-dix. Ce travail vaut autant par ses qualités scientifiques que par son intérêt documentaire. La recherche est rigoureusement menée et fort bien étayée grâce à un accès direct à des sources inédites d'informations et à des contacts avec certaines personnalités qui ont marqué la vie de l'époque. Cette recherche s'inscrit dans le cadre d'une lecture se voulant autant que possible objective de notre Histoire nationale. Son point de départ est le 7 novembre 1969. Il s'agit là d'une date charnière dans l'évolution du régime constitutionnel tunisien. Ce jour là, la Tunisie renoue par la création de la fonction de Premier ministre avec le bicéphalisme de l'Exécutif abandonné à la suite de l'abolition de la monarchie le 25 juillet 1957. L'institution d'un gouvernement dirigé par un Premier ministre se ramenait-elle seulement à des causes d'ordre conjoncturel ou correspondait-elle réellement à la volonté de renouveler l'organisation du travail au sein de l'Exécutif ? Comment se présentait le gouvernement Ladgham et avec quelle autonomie et quelle marge de manœuvre pouvait-il conduire les affaires de l'Etat ? Quels étaient à la lumière des circonstances dans lesquelles ce gouvernement avait été constitué, les moyens et les prérogatives dont il disposait pour mener son activité. Pour répondre à ces questions, Foued Lakhoua commence par étudier les raisons d'ordre politique et administratif qui ont conduit à la mise en place du gouvernement Ladgham, il en analyse ensuite minutieusement du point de vue juridique les prérogatives et les moyens. Il montre enfin comment l'étendue du champ d'action de ce gouvernement par rapport à celui du chef de l'Etat s'en est trouvé modifiée. En effet, lors du séjour du président Bouguiba à l'étranger, pour des raisons de santé, Bahi Ladgham s'est vu confier du 17 novembre 1969 au 1er juin 1970 « La direction des affaires de l'Etat ». Avec le retour du président de la République, il a commencé à perdre progressivement une partie de ses prérogatives. La répartition des compétences entre le président de la République et le Premier ministre a connu depuis, il est vrai, plusieurs fluctuations du fait que le chef de l'Etat pouvait étendre ou réduire le champ d'action de son gouvernement en fonction des circonstances. Ainsi, le rôle que jouait le gouvernement dirigé par le Premier ministre dépendait de la marge de manœuvre que leur laissait le chef de l'Etat. C'est précisément dans la limite de cette marge de manœuvre que le gouvernement Ladgham a mené son activité. Ce gouvernement qui n'a duré que 360 jours a été un gouvernement d'inventaire et de transition. Gouvernement d'inventaire de l'effort de développement qui avait été entrepris avant 1969 afin de « définir les directions de consolidation aussi bien que les choix nouveaux ». Gouvernement de transition sur deux plans : sur le plan économique, le gouvernement Ladgham a conduit une politique de reconversion économique avec la remise en cause de l'expérience collectiviste. Sur le plan politique, avec ce gouvernement, une nouvelle répartition de la fonction exécutive s'est amorcée. De nouvelles pratiques tendant à rationaliser l'action de celle-ci ont été pour la plupart codifiées par la révision du 8 avril 1976. Néanmoins, par delà ces nouvelles pratiques, force est de constater que l'institution d'un gouvernement dirigé par un Premier ministre n'a pas entraîné depuis un partage du pouvoir exécutif mais plutôt une répartition fluctuante du travail en son sein. Le rôle du Premier ministre en dépit du renforcement par moment de son autorité est loin de limiter celui du chef de l'Etat qui demeure prépondérant. A travers ce bilan l'auteur montre enfin la situation précaire et difficile dans laquelle s'est trouvé Bahi Ladgham en tant que Premier ministre. Cette situation n'était pas en vérité étrangère à sa situation de successeur de président de la République. Telle qualité faisait de lui, comme il en sera d'ailleurs de tous les Premiers ministres du président Bourguiba, « la cible » de ceux qui luttaient pour la succession. Ce qui ne manquait de gêner le fonctionnement normal du gouvernement et hypothéquer son action. En somme, riche en informations, s'appuyant sur des documents souvent de première main, inédits et recourant au besoin à l'interview et à l'analyse de contenu, l'étude de Monsieur Foued Lakhoua est fort utile. Elle constitue une précieuse contribution à la connaissance d'une période marquante de l'histoire constitutionnelle et politique de la Tunisie. Mohamed Ridha BEN HAMMED Professeur Agrégé Président de l'Université Tunis El Manar Octobre 1990
L'auteur Foued Lakhoua est né le 16 septembre 1946 à Tunis. Licencié en Droit public, il est diplômé des cycles moyen et supérieur de l'Ecole Nationale d'Administration et titulaire d'un 3ème cycle en Sciences politiques. Il assuma plusieurs hautes fonctions au sein du ministère de l'Economie nationale en tant que directeur général des Mines et de la Géologie et directeur général de la Coopération économique et commerciale jusqu'à décembre 1983. Depuis, il a rejoint le groupe Salins représenté en Tunisie par la Compagnie des Salines dont il devient, président du Conseil en octobre 2011. Foued Lakhoua fut également président de la Jeune Chambre économique de Tunis, président de l'Association d'Amitié Tunisie-France. Il est actuellement président de la Chambre Tuniso-Française de Commerce et d'Industrie.
Note de l'éditeur La réédition de cet ouvrage publié en 1990 et rapidement épuisé, trouve toute sa justification dans l'histoire immédiate de la Tunisie où une deuxième République, issue de la Révolution du 14 janvier, est entrain d'éclore à travers un processus démocratique inauguré par l'élection, le 23 octobre 2011, d'une Assemblée nationale Constituante. Dans cette étape décisive mais balbutiante encore, la référence au passé éclaire le présent : le gouvernement Ladgham fut en effet un exemple d'équilibre du pouvoir exécutif, réparti entre un Président de la République et un Premier ministre dont le champ d'action dépendait dans une large mesure de la marge de manœuvre accordée par le Chef de l'Etat. D'anciens ministres et collaborateurs du président Bourguiba ont fait référence à ce livre dans leurs témoignages. Notre souhait est que cette deuxième édition apporte un nouvel éclairage et contribue à l'édification de nos futures institutions républicaines.