Dehors, une pluie fine arrose les pavés. Les spectateurs s'attroupent devant la Bonbonnière en rangs serrés pour accéder à la salle. 19h00, les portes s'ouvrent à leur grand bonheur. Dans le hall, un stand a été réquisitionné par une librairie de la place, qui a saisi l'opportunité pour exposer ses récents ouvrages. On est bien dans le marathon des mots. «Une belle aventure », souligne Olivier Poivre d'Arvor, président de la manifestation lors de cette soirée d'ouverture, vendredi dernier, de ce « Marathon des mots » baptisé « Al Kalimat ». Créer les liens à travers les mots, les paroles, les acteurs qui avec leur voix et leur intonation juste vont faire vivre ceux qui portent ces mots, c'est l'objectif de cette rencontre poétique organisée conjointement par Ness El Fen et l'association « Le marathon des mots ». « Nous sommes fier d'organiser ce marathon en Tunisie, qui a été la vedette du monde entier du Printemps arabe», a affirmé OPDA. Après la présentation du programme de la manifestation, l'acteur Fathi Heddaoui se présente sur scène pour une lecture du long poème « Ya Tounès El Khadhra » que l'auteur syrien Nizar Kabani avait présenté pour la première fois en Tunisie en 1980. Une jeune interprète avance dans le public et chante a capella une chanson « Khabini Andek Ya Loulou» d'Oumaima El Khalil puis se retire discrètement. Apparaît de nouveau sur scène Fathi Heddaoui pour donner lecture du texte « Ounchoudat El Matar » (Le chant de la pluie) de Badr Chaker Essayeb. Puis, une autre interprète, toujours a capella, prête sa voix au célèbre texte de Abou Kacem Chebbi « Idha Chaabou Yaouman » (Un jour, si le peuple veut). Encore une fois, l'acteur Fathi Heddaoui reprend le micro pour lire les paroles de la chanson de Hédi Guella « Babour Zamar » écrite par Mouldi Zalila. Un autre intermède musical où la chanteuse oublie quelques instants les paroles de la chanson « Tikbar Tikbar (tu grandis, tu grandis), mais se rattrape rapidement sous les encouragements des spectateurs qui lui pardonnent cette hésitation en raison de sa voix limpide et touchante. Après cela, la très attendue Fanny Ardant, marraine de cette première rencontre, devait se présenter sur les planches. Des invités de valeur Or c'est Olivier Poivre d'Arvor qui s'invite pour faire patienter l'assistance et invite le grand écrivain égyptien Gamal El Ghitani à monter sur scène pour remplir le vide en lui posant la question inévitable « Qu'est-ce que ça vous fait d'être en Tunisie ? », et l'écrivain de répondre : « C'est un sentiment de fierté qui m'envahit. Nous autres égyptiens, nous avons tiré la leçon de la Tunisie d'où est partie la première étincelle de la révolution. Je trouve que, maintenant, la distance du Caire à Tunis est beaucoup moins longue. A chaque fois que je viens en Tunisie, je tiens à passer par Tozeur pour me recueillir sur la tombe de Chebbi ». Pendant ce temps, Fanny Ardant se fait encore désirer. Et voilà que soudain une magie s'opère lorsque l'actrice toute menue avec ses lunettes, à l'instar d'une institutrice, surgit aux côtés de Fathi Heddaoui, formant ainsi un charmant duo. Ce dernier entame la lecture en arabe puis lui cède la place pour la réplique en français, dans une traduction de Abdelaziz Kacem, du célèbre poème de Abou Kacem Chebbi «Idha ach'haâbou yaouman». Le texte suivant, « Eclat de vérité», elle le dédie au peuple syrien. Puis, elle revisite un long texte « L'exil d'Hélène » signé par Albert Camus en 1948. Elle enchaîne avec un autre poème de Chebbi qu'elle croyait avoir perdu « Ila toughat el âlam » (aux tyrans du monde) écrit en 1934. Avec sa voix frêle et suave, elle dit: « Avant de venir à Tunis, j'ai commis une faute. J'ai saccagé un livre en arrachant une de ses pages. Cette page est un poème d'Aragon ». Le public apprécie la prestation de l'artiste qui a su donner âme et chaleur à cette poésie classique et à ces auteurs du vingtième siècle qui ont tous disparu. Il est clair que le choix des textes porte sur la révolution et les soulèvements des peuples contre les dictatures. Un choix conséquent qui célèbre le Printemps arabe et lui donne du sens par le verbe, essentiel lors des révoltes où l'on a pu entendre un peuple en transe, clamant des textes d'une force poétique admirable. La fête des mots, rehaussée par le talent de deux comédiens de valeur : l'un en France et l'autre en Tunisie, est un moment fort dans cette Tunisie nouvelle. Cette soirée d'ouverture, marquée par sa sobriété et le recueillement d'un public tout ouïe, s'est terminée par un slam de Hatem Karoui « Slam Alikom » accompagné à la guitare par Sabri Mosbah. Aujourd'hui, dimanche, la clôture, retour le matin au Théâtre municipal pour un pique-nique littéraire avec des lectures de textes pour jeunes. Dans l'après-midi, Gamal Ghitany donnera lecture des extraits de « Muses et Egéries », tandis que Gilles Kepel dialoguera avec Ghazi Gheraïri autour de la question «Où vont les révolutions arabes ?» et pour terminer le comédien Hichem Rostom proposera un slam.