Par Brahim EL AISSI * Pour édifier son modèle de vie, chaque société s'appuie sur ses conceptions idéologiques et ses spécificités distinctives, à partir desquelles elle prescrit ses normes et ses valeurs, sous forme de lois, de codes et d'interdits, qu'elle transmet implicitement d'une génération à une autre, par le biais du dressage familial, de l'éducation et du conditionnement social. Etabli par un tacite consensus, chaque modèle se transformera en une source d'inspiration pour restructurer son organisation et orienter, durant une période donnée, les attitudes et les comportements jusqu'au moment où, sous l'effet conjugué de l'émergence de ses nouvelles contraintes et aspirations de différentes natures économiques, sociales, idéologiques voire politiques, elle décide de confier à ses sages la mission de le réviser et lui apporter les modifications nécessaires, sans cassure ni avec ses acquis ni avec son héritage socioculturel C'est dans ce cadre que la société tunisienne, éprise de justice et de liberté après son indépendance politique, a confié à un groupe de ses combattants, imbus de hautes valeurs humaines, la responsabilité de concevoir, sous l'égide d'un chef visionnaire et réformiste, en la personne du leader Habib Bourguiba, un modèle de vie ouvert à la connaissance et à la science, où les prescriptions religieuses s'harmoniseraient avec les valeurs civiles, et où l'image de la femme objet de désir deviendrait une réelle source de progrès. Et c'est grâce à ce nouveau modèle de vie moderniste tant envié par toutes les nouvelles sociétés émancipées du joug colonial que la société tunisienne avait enregistré avec dévouement et sacrifice des résultats significatifs dans les différents domaines économiques, culturels, éducationnels et sociaux durant les trois premières décennies de son indépendance, et s'était intégrée sans heurt ni confusion dans son environnement arabo-musulman et international, jusqu'au jour où un groupe d'opportunistes commençait à l'infecter, à la suite de leur coup d'état démoniaque du samedi 7/11/1987 et à le faire dévier vers la corruption généralisée et la profonde déchéance sociale. Aussitôt changés en satrapes fastueux, ces opportunistes, par leurs escroqueries, leurs incompétences, leurs propagandes manipulatoires et leurs politiques fallacieuses largement médiatisées, avaient transformé ce modèle de vie, si noble dans sa quintessence, en une véritable source de souffrances et de supplices au point que toute la société tunisienne, pratiquement livrée à elle-même, se révoltât, en unisson et avec affabilité, le 14 janvier 2011 pour chasser ses pirates les plus notoires, et choisir librement une autre équipe de sages appelée à lui rééditer un nouveau modèle de vie avec plus de dignité dans le travail, plus de liberté dans la pensée, et plus d'égalité dans la citoyenneté. Exploitant son affabilité, une équipe d'endoctrinés, hétéroclites de pensée et avides de pouvoir, a réussi à la séduire pour la replonger, par ses élucubrations et ses amalgames sémantiques dans un modèle de vie anachronique, où la femme perdra sa place de source de progrès pour réoccuper sa place de figurante passive, et où les schèmes mentaux qui distinguent un modèle de vie rayonnant et épanouissant se rétréciront pour implanter un système de vie régressif, simulateur et réducteur où : – l'irrationnel et l'émotionnel supplanteront le bon sens et le discernement – l'obéissance évincera la responsabilité – la raison administrative absorbera la raison entrepreneuriale – la ruée vers le profit individuel immédiat dominera l'intérêt éclairé et le gain partagé – la recherche du conformisme comportemental éliminera la différenciation sociale et psychologique – la dialectique de la sanction négative tuera la logique de la sanction rémédiatrice – le procès d'intention devancera le crédit d'intention – la pensée dissimulatrice et superficielle chassera la pensée loyale et profonde – la rigidité mentale et caractérielle voilera la plasticité mentale et la perfectibilité – la soumission aux aléas et aux vicissitudes primera la maîtrise des moyens et de l'aléatoire – la référence au passé et à la tradition désorientera la propension à l'innovation et à la créativité – l'unité de la mesure du temps par génération supplantera la mesure du temps par minute. Et quand une équipe d'idéologues s'enferme dans un cadre très réducteur de la pensée, il lui devient difficile de s'en sortir pour trouver un autre mode de réflexion et de raisonnement, elle essaie plutôt de justifier ses actes choquants et ses positions saugrenues comme celles d'avril 2012 par une fragile dialectique d'argumentation et d'explication et à défaut, par la force et la servitude pour plusieurs raisons : –satisfaire autant qu'elle peut ses objectifs à travers une tactique consciente et délibérée – avoir une représentation incongrue de la réalité et un faible retentissement de son mode de pensée – se distinguer par sa rigidité mentale et par sa faible capacité d'analyse rationnelle Face à ce menaçant rétrécissement du nouveau cadre de vie de cette société avide de liberté, et au risque d'y voir semer non seulement la déliquescence généralisée, mais plus gravement l'obscurantisme spirituel et le culte d'un nouveau type de personnalité, il serait plus prudent que ses doyens et ses seniors si reconnus par leur altruisme et par leur ouverture intellectuelle assument leur double responsabilité historique pour lui réitérer un modèle de vie radieux tant espéré, mais désinfecté de la salissure de certains RCDistes, et purifié de l'amalgame conceptuel des néophytes, et veiller à sa réelle mise en œuvre sur la voie de la démocratie, de la dignité, de la justice et du progrès * (Psychologue du travail consultant)