Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Les femmes représentent les 60% à l'Université; les 47% dans le monde du travail: En a-t-on pour autant fini avec la société patriarcale ? NOTRE EPOQUE
Dans tous les manuels et lors des discussions familiales, vous pouvez lire et entendre dire que la société tunisienne est patriarcale, avec une image du père qui est particulièrement présente, pour ne pas dire pesante. Partout on entend dire que nos structures sociales et mentales sont encore rigides. Malgré les progrès accomplis dans de nombreux domaines, les mentalités restent figées, conservatrices, archaïques, n'assurant pas le dynamisme nécessaire à l'évolution de la société et au partage entre les divers acteurs de la société. Jusqu'à quand cette mentalité autoritaire et parfois tyrannique va-t-elle perdurer dans un monde global où les idées circulent librement et où nous découvrons qu'il y a d'autres façons de vivre et de se comporter au sein de sa famille ? Variations sur un thème qui dérange… La question que nous avons posée à diverses personnes au cours de cette enquête était de savoir pourquoi le changement de la société tunisienne est-il difficile ? Et pourquoi l'évolution des mentalités est-elle si lente ? La plupart de nos interlocuteurs, hommes et femmes, ont soutenu une thèse qu'un sociologue a résumé en ces termes : « il y a une forte résistance viscérale, instinctive, au changement, à l'évolution des mentalités, car dans la tête de chaque tunisien sommeille un conservateur, un réactionnaire même, toujours hostile à ce qui est nouveau, inconnu, dangereux pour son pouvoir... » Si l'on fait une lecture rapide de notre histoire, on s'aperçoit que depuis des siècles, la famille tunisienne a subi la régression qui a régné pendant des siècles, avec une place de plus en plus incongrue pour la femme, enfermée, exploitée, dénigrée. Une décadence qui a été soutenue par le pouvoir colonial, mais qui sera remise en cause par hommes ouverts d'esprit comme Tahar Haddad et Bourguiba. La promulgation du Code du Statut Personnel allait imposer leur vision résolument moderniste, interdisant la polygamie, fixant l'âge de mariage pour les filles à 17 ans... Une série de lois qui ont été confortées par de nombreuses mesures depuis le Changement, dans le but d'édifier une société moderne, qui croit à l'égalité entre les hommes et les femmes et qui veut garantir les droits de la femme dans divers domaines. Pourtant un trop grand nombre d'hommes veulent « perpétuer la condition d'infériorité de la femme dans une société patriarcale fondée sur la discrimination, la domination et la marginalisation », assure notre sociologue. Pourtant l'éducation, la mixité, ainsi que tous les médias ont contribué à changer les mentalités archaïques. Même le cinéma tunisien a apporté sa contribution avec des films qui ont mis à jour les anachronismes de la société patriarcale. Ils ont montré qu'une certaine frange de la société tunisienne refuse encore aujourd'hui, après des décennies d'ouverture, d'accepter de céder une partie de son pouvoir, de se remettre en question et d'affronter les exigences du présent, influencée en cela par certaines chaînes satellitaires arabes qui les caressent dans le sens du poil et qui veulent les faire revenir à l'âge de pierre. Ces médias confirment l'image stéréotypée de la femme et répandent le modèle de la société patriarcale le plus rétrograde qui puisse se concevoir. Selon un analyste spécialisé de ces médias, « ce type de programmes se cachent derrière des propos sortis de leur contexte pour conforter le patriarcat, qui réduit la femme à être une auxiliaire, obéissante et soumise à son père d'abord, à son mari ensuite et même à son fils à la fin de sa vie ! » Le savoir comme outil d'égalité Et les choses ne vont pas s'améliorer selon notre interlocuteur, « car l'arrivée massive des nouvelles technologies de l'information implique que la société du savoir va supplanter la société classique, créant de nouvelles tensions et une adaptation aussi nécessaire que rapide. Avec plus de 60% d'étudiantes en Tunisie, la place des hommes risque de se réduire comme peau de chagrin, ce qui ne manquera pas de créer de nouvelles résistances de la mentalité patriarcale. » Plusieurs spécialistes ont insisté sur le rôle important que joue une classe moyenne structurellement durable. Car la pauvreté est propice à ceux qui refusent tout ancrage à la modernité avec ses corollaires : la liberté, la démocratie et la cohérence. Et ils n'ont comme seul discours qu'un retour à une morale religieuse mal comprise, à un conservatisme figé, à une préservation d'une certaine idée de la cohésion familiale et sociale. Selon une féministe convaincue et qui a longtemps lutté pour une société juste, « le seul remède aux dérives machistes réside dans une éducation fondée sur la non-discrimination et la distribution équilibrée des rôles entre l'homme et la femme, sur l'égalité tant dans les droits et que dans les devoirs. Il faut aussi développer les idées de tolérance, d'acceptation de l'autre avec ses différences. Autrement la femme trouvera toujours des obstacles qui entravent sa liberté et l'empêchent de réaliser ses rêves, qui sont finalement ceux de la société où elle vit. » Aujourd'hui, la femme étudie, travaille et elle est souvent meilleure dans ses études que les hommes. Mais la parité n'est pas encore entrée dans les mœurs, malgré les réalités. Des valeurs essentielles comme le respect mutuel, la liberté individuelle, le droit des femmes de disposer de leur corps, sont encore loin d'être acceptées aussi bien dans le cercle familial, dans le milieu professionnel ou même dans la rue. Certains nous ont cependant signalé que « de grands progrès ont été réalisés et que les Tunisiens restent parmi les plus tolérants et les plus ouverts du monde arabe et même par rapport à de nombreux pays dans le monde… » Et selon certains, ils ne peuvent qu'accepter cette situation, « car elle est irréversible. Les mutations, les défis, l'urbanisation, les bouleversements technologiques et la compétition internationale vont forcer la société tunisienne patriarcale à accepter des mutations structurelles profondes. » La femme accède en effet de plus en plus à d'importants postes de responsabilité, alors qu'elle était considérée comme un individu de seconde zone, liée à l'homme par des rapports de dépendance matérielle et morale. Or la scolarisation et le travail, autrement dit l'indépendance matérielle et intellectuelle, la mettent aujourd'hui à l'abri des humiliations passées. Quoique disent les oiseaux de mauvais augure, la femme est aujourd'hui un réel partenaire de l'homme au sein de la famille et de la société en Tunisie. Et les discours rétrogrades n'y peuvent rien. L'avenir lui appartient, pour effacer des siècles d'enfermement, d'injuste claustration…