Rien ne justifie la violence, absolument rien! Mais ce n'est pas rien ce qui est arrivé aux membres du réseau Doustourna, et plus particulièrement son porte-parole Jaouhar Ben Mbarek, violemment agressés par des jeunes salafistes à Douz (le 20 avril) puis à Souk Lahad (le 21), dans le gouvernorat de Kébili. Suite à quoi, le réseau a publié un communiqué le 21 avril, décrivant les faits, condamnant les agressions continues dont ses membres sont victimes, appelant les forces démocratiques et progressistes à s'unir pour y faire face et annonçant la tenue d'une conférence de presse le lundi 23. C'était donc hier à El Teatro que se sont réunis Doustourna et les forces qui lui sont venues en soutien. Le communiqué du réseau n'était pas le seul à avoir précédé la conférence. La Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme (Ltdh), le Parti socialiste de gauche, le parti Hizb Joumhouri, le mouvement Kolna Tounes, l'association « Conscience politique » et Le Manifeste du 20 mars ont, à leur tour, publié des communiqués de soutien dans les deux jours qui ont suivi les incidents et précédé la conférence de presse. Cette conférence a été marquée par la présence des représentants de ces mouvements, en plus d'artistes, de juristes, de membres de l'Assemblée constituante et d'indépendants. Hachemi Ben Fraj, l'un des fondateurs d'Amnesty International Tunisie, a relevé en premier le caractère commun des agressions des salafistes sur toutes les catégories d'activistes pacifistes: l'impunité. Face à quoi, a-t-il ajouté, « le gouvernement doit assumer ses responsabilités ». Ensuite, Jaouhar Ben Mbarek a donné plus de détails sur les faits de Douz ( à la maison de la culture Mohamed-Marzouki) et de Souk Lahad (dans les locaux de l'Union des diplômés chômeurs), affirmant que dans cette dernière ville, les salafistes qui ont attaqué tous les présents, étaient sur le point de l'égorger s'il n'avait pas été sauvé par les jeunes du coin. Cette version a été corroborée par les témoins de l'horreur, dont Zohra Triki de Doustourna et Anouar Amara, citoyen de Souk Lahad qui a tenu à s'exprimer pour présenter ses excuses au réseau, au nom de Kébili. Selon Jaouhar Ben Mbarek, il s'agit d'une « violence organisée et ciblée ». « Elle commence par des accusations, reprises et scénarisées par la presse ‘‘jaune'', puis par les réseaux sociaux. Résultats : des agressions continues et ceux qui ont lancé les accusations sont les mêmes qui condamnent », a-t-il expliqué. Ce qu'il a qualifié de cercle vicieux dans lequel les forces progressistes sont prisonnières doit être rompu par un message fort commun, a-t-il ajouté. Jaouhar Ben Mbarek n'a pas été le seul, lors de la conférence, à appeler à l'union et à une action commune. Salma Baccar, réalisatrice et membre de l'Assemblée constituante, a appalé à la création d'«une structure de résistance et de protection ». Maher Hanine, membre du comité exécutif du Hizb Joumhouri, a qualifié la création d'un front commun de «besoin urgent». Quant au juriste Sadok Belaïd, il croit en la création « de comités de vigilance de la société civile ». Des appellations différentes pour une même revendication, accompagnée d'un constat général dirigé vers le gouvernement en place et le mouvement Ennahdha, celui de prendre une direction fasciste. Sadok Belaïd affirme en effet que le régime «se replie sur lui-même en s'appuyant sur le système sécuritaire et des milices formées de professionnels recyclés». Khemaïes Ksila, membre de l'Assemblée constituante, ex-Ettakatol et fondateur du parti Haraket Tounes, a ajouté que les déclarations venant du gouvernement, disant qu'un complot se prépare à son encontre, le rend responsable de ce qui arrive, en plus de la politique de « deux poids deux mesures » dont il fait preuve. Il fait ainsi référence à l'impunité dont jouissent les « porteurs des drapeaux noirs », selon son expression. Le président de l'instance politique du parti Hizb Joumhouri, Néjib Chebbi, a déclaré que l'alternance au pouvoir en Tunisie ne sera peut-être pas pacifique, tout en appelant à se joindre à l'Union générale des travailleurs tunisiens, le 1er mai prochain, pour défendre les libertés et les droits sociaux du peuple tunisien. A son tour, le juriste Iadh Ben Achour a accusé le gouvernement de ne pas jouer son rôle comme il faut et de ne pas tenir ses promesses. « Le combat entre le démocratique et le théocratique est déloyal», a-t-il encore précisé. « Violence organisée », le mot a été également prononcé par la porte-parole du mouvement Kolna Tounes, Emna Mnif, qui pense que le gouvernement est complice et incapable face à cette violence. Elle a aussi appelé les forces démocratiques et progressistes à « sortir de leurs bureaux et à emmener les idées, les solutions et les arts dans la Tunisie profonde» ainsi qu'a lier la cause des libertés aux revendications sociales et économiques. D'ailleurs, des représentants des chômeurs de la cité Malaha à Radès, d'Om Larayès et de Redeyef ont participé à la conférence, ayant subi auparavant et subissant encore la violence policière et la répression. Dans ce sens, le fonctionnement du système sécuritaire a été critiqué par des intervenants et pointé du doigt comme l'une des principales sources du problème. Le penseur Youssef Seddik, qui a failli être empêché de donner une conférence à Kélibia le week-end dernier, a fait référence aux « instructions », sans lesquelles les policiers n'agissent pas. Sihem Ben Sedrine, en sa qualité de porte-parole du Conseil national pour les libertés, a qualifié ce qui se passe de « non-assistance à personne en danger », sachant que la police exige d'être informée des réunions pour assurer la sécurité. Mais même dans ce cas, les agents sur place n'interviennent pas faute d'instructions! Parmi les derniers à avoir pris la parole, et dont les interventions résumaient le contenu de la conférence, figure la vice-présidente de la Ltdh, Balkis Mechri-Allagui, qui a annoncé la publication d'un communiqué sous forme de rapport sur toutes les agressions qui ont eu lieu et que la ligue condamne. Egalement, Abdelwahab Hani, du parti Al Majd, a rappelé que tous les pays passent, le 24 mai à Genève, par l'examen périodique universel devant le conseil des droits de l'Homme et que c'est une occasion pour agir. Zied Heni, du Syndicat des journalistes, a même demandé que les forces présentes lancent leurs propres enquêtes sur les agressions. Il a souligné que deux mots clés ressortent de la conférence: l'impunité et une coalition. Les présents lors de la conférence semblent en effet d'accord qu'il faut agir contre la première par la deuxième.