1996. Nissaf Chkoundali Hassani décroche son diplôme à l'Ecole des beaux-arts de Tunis (Isbat), majeure de sa promotion… «Designer» à la base, son cœur va pencher pour le monde de la peinture où elle a élu domicile pour la vie… Cette artiste passionnée n'a que son pinceau pour le dire. L'art, elle connaît très bien… Car dit-elle : «Je suis issue d'une famille d'artistes». Son père, journaliste et antiquaire, s'amusait toujours à faire des croquis, restés ancrés dans la mémoire de Nissaf. Forte de l'influence de l'artiste sculpteur Belaïfa, elle va surtout suivre son instinct et écouter les voix murmurées par son cœur qui penche pour la peinture à l'huile acrylique. La route de son pinceau est tracée. Mais Nissaf a du mal à exposer. «J'avais peur d'affronter le grand public», nous dit-elle, avant d'ajouter : «L'artiste couve ses peintures comme on couve ses enfants». Elle refuse de vendre; son trésor est trop précieux à ses yeux. C'est ainsi qu'elle est restée sept ans recroquevillée sur ses œuvres. En 2006, encouragée par ses admirateurs «secrets», elle va à l'aventure et s'envole pour la Suisse où elle expose neuf de ses œuvres. Le succès l'attend… Elle décide alors de sortir de l'anonymat et part, enfin, à la conquête du public. 2008, 2009, 2010, 2011, les expositions se succèdent. Nissaf a le vent en poupe, mais elle évolue encore sous la coupe d'autres éminents artistes tunisiens. Décidée à affirmer son univers, elle fait cavalier seul et expose à Caliga. La galerie, lumineuse, chaleureuse et fort accueillante, nous ouvre grandes les portes de l'univers onirique mais ô combien réaliste de Nissaf Chkoundali Hassani. Dans un élan impressionniste, l'artiste fait balader son pinceau dans les «Hammam» (bains maures). Coins et recoins de ces lieux de purification, hantés par de grands secrets, sont visités minutieusement. On est même imbibé par la chaleur des lieux. En face de ces bains maures, le portrait d'un bey majestueux est représenté dans ses habits d'époque. Il est témoin d'un mariage entraînant, haut en couleur où on croit même entendre les youyous stridents des femmes… Le bleu est maître des lieux. «Si cette couleur n'existait pas, je l'aurais inventée», nous confie la peintre. Dominant, le bleu sème gaieté et optimisme. Un peu plus loin, un marchand ambulant, représente bien la vie tunisienne dans les quartiers populaires. L'impressionnisme persiste et nous promène au cœur de la médina, témoin indélébile de notre identité… Toutes ses œuvres, sans exception, sont «gardées» jalousement par des femmes typées, racées, aux regards «revolver»… Ils tuent un surmoi aux aguets, pour dérouler le tapis rouge au plaisir ; le plaisir de regarder la beauté féminine, de la désirer, de l'aimer. Ces tableaux enfantent fougue et passions apprivoisées par l'élégance de ces beautés pudiques, presque insouciantes. «Il s'agit là de figuration libre», nous rappelle Nissaf. Ainsi les murs de Caliga nous ouvrent les portes d'un «harem» où le jeu de séduction est mené par les yeux, tantôt tendres, rêveurs et fiers, tantôt aguichants, perçants, mais toujours humbles. Eros s'arme de ses fléchettes et vise les cœurs pour que la poésie fuse… Les visages se lisent comme une calligraphie en mouvance, fluide et élégante où la beauté se conjugue à l'infini. Visages typés, trempés dans l'authenticité. Chaque tableau nous raconte l'histoire d'une femme, nous révélant ses secrets. La mémoire se nourrit de ces visages expressifs de type berbère ou maghrébin. Ils bravent le temps et s'imposent dans un présent fier de les accueillir. Ces femmes sont nos racines, nos grands-mères, nos mères, nos tantes… On se sent presque en famille. Les femmes, pourtant différentes, sont unies à jamais par Nissaf Chkoundali Hassani, grâce à un détail subtile, un bijou, un vêtement, une couleur, un voile ou même un regard. On s'arrête comme envoûté face à la grande «odalisque», majestueuse où se confondent peintures, feuilles d'or et photos. Les autres femmes s'inclinent devant sa beauté. Pour certains tableaux, la peintre a noyé son pinceau dans un arc-en-ciel rouge, jaune, bleu, flashie… Les couleurs nous kidnappent pour nous projeter dans un univers lumineux et noble… La beauté crue habille les murs de Caliga. Le pinceau, avide et soucieux du moindre détail, courageux et battant, va loin là où chaque expression vit et bouge. Les touches sont profondes, parlantes… Elles content l'histoire de ces nymphes majestueuses. Les visages, impassibles et fiers, embrassent l'éternité grâce au pinceau magique et narrateur de l'artiste. Un pinceau qui n'a pas peur de faire paraître l'invisible, l'infiniment petit. Ces témoins indélébiles ont suspendu le temps et ont bravé l'ineffable. Ils confèrent au paraître une dimension universelle qui touche tout un chacun quelle que soit sa culture. Le pinceau de Nissaf Chkoundali Hassani, qui se balade entre figuration libre et impressionnisme sans s'égarer, connaît bien son chemin. Sa route est balisée par une technique minutieuse perfectionnée au fil du temps. On ne peut que s'incliner face à la beauté offerte par un pinceau voyageur qui a su percer les secrets de l'âme, l'instant d'un regard.