Par M.A. BOUHADIBA* Depuis quelque temps, un mot étrange est apparu dans le vocabulaire tunisien, un mot qu'on n'avait jamais entendu chez nous et jamais prononcé. Ce mot takfir veut dire qu'un musulman peut déclarer un autre musulman non croyant. Ce mot est grave car il donne le droit à un musulman de tuer un autre musulman alors que normalement cela est interdit en Islam. Sans entrer dans l'exégèse, disons tout de suite que plusieurs versets du Saint Coran et plusieurs hadiths mettent en garde contre cette pratique. Disons aussi que la plupart des autorités religieuses sunnites condamnent cette pratique, qui n'avait été utilisée au cours de l'histoire que par certaines sectes pour éliminer leurs ennemis. Cette pratique fut codifiée par l'un des fondateurs du salafisme, Ibn Taymyia qui en fixa les conditions, 12 au total. Lui-même ne l'utilisa que pour lutter contre l'envahisseur mongol. L'empereur mongol s'était en effet converti à l'Islam puis s'était en quelque sorte rétracté et avait appliqué à nouveau la Yasa, la loi mongole, il fut déclaré kéfir. Le texte de référence de cette pratique est celui que le grand penseur Maudoodi publia dans son journal en 1935 et intitule «Le mal du takfir». Dans ce texte il condamne sans ambiguïté cette pratique écrivant entre autres ces extraits: «Le takfir crée des fissures dans la croyance. Il crée des sectes. Rien n'a causé plus de tort à l'Islam. Le takfir est un crime contre toute la société islamique. Il ne cause que déception dans le cœur des musulmans. Ceux qui le pratiquent devraient comprendre leur faute et avoir pitié d'eux-mêmes». La chose prit une toute autre ampleur lorsqu'un homme, Sayid Qutb, l'un des fondateurs des frères musulmans égyptiens, transforma cette pratique en idéologie, c'est-à-dire en arme politique. Qutb disait que le monde entier avait sombré dans un état d'obscurantisme intellectuel et moral qu'il appela la nouvelle jahyllyiah. Ceci concernait tous les pays non gouvernés par la charia qu'ils soient musulmans ou pas c'est-à-dire à peu près le monde entier. Pour lui le takfir s'appliquait à tous et il fallait donc utiliser le jihad le plus violent contre eux. Qutb était un personnage particulier, il fit des études aux USA mais ne comprit pas la civilisation américaine où il ne voyait que le vice. Il décrivait même la petite ville de Geeley, où il avait résidé dans le Colorado, une ville pourtant à l'austérité toute protestante, comme un centre de grande débauche. Il ne se maria jamais car, disait-il, aucune femme ne lui semblait assez pure. Durant 15 ans il mit au point son idéologie et eut beaucoup d'élèves mais la plupart des autorités religieuses officielles critiquent sa vision des choses et considèrent qu'il y a de nombreuses erreurs dans son interprétation des textes sacrés. Une question pourtant se pose. D'où lui était venue l'inspiration de cette étrange idéologie? En 2007, le site online Zeist publia un article de Randolph Walther intitulé: « Comment un docteur français devint le père spirituel des islamistes radicaux »? Cet article parlait de l'influence du docteur Alexis Carrel sur Sayid Qutb. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Alexis Carrel était un chirurgien génial et un grand Prix Nobel. A un moment de sa vie il élabora une théorie qu'il appela la « Barbarie sociale », cette théorie disait que pour avoir une société parfaite il fallait éliminer les handicapés et les malades mentaux. Vous l'avez deviné c'était le père de l'eugénisme. Il proposa sa théorie aux Américains qui l'utilisèrent quelque temps, à vrai dire, sans grande conviction, puis la proposa aux Nazis allemands qui y ajoutèrent les juifs et les gypsies et l'appliquèrent à une échelle industrielle. Quel rapport avec Sayid Qutb? Ce dernier lut les écrits de Carrel, fut apparemment impressionné par cette théorie et s'en servit pour mettre au point la sienne. Il traduisit la Barbarie sociale par : « La nouvelle jahyllyiah» et au lieu de s'attaquer aux handicapés physiques comme Carrel, il décida de s'attaquer aux handicapés moraux, c'est-à-dire tous ceux qui n'étaient pas de bons musulmans selon ses critères, le takfir étant utilisé pour les identifier. Cette admiration de Qutb pour Carrel a été documentée avec beaucoup de détails dans la thèse qu'Ahmed Bouzid publia en 1998 à l'université de Virginie, aux USA, et confirmée par le livre de Carl Brown intitulé « Islam and politics » Ainsi donc Qutb introduisit dans l'Islam politique des thèses fascistes et inhumaines, des thèses que certains par malice ou ignorance essaient d'introduire aujourd'hui en Tunisie Cela suffit, assez, cessons d'importer chez nous des idées étrangères, des théories controversées, mal comprises et mal connues. Cessons d'essayer de changer nos traditions. Il faut revenir à un Islam modéré, tolérant, apaisé et apaisant, beau, notre vrai Islam tunisien. *(Gynécologue)