• Lancement d'un guichet d'urgence en faveur des jeunes de la région, financé par un don japonais. Sbeïtla, délégation de Kasserine. Les vastes terres agricoles fraîchement labourées et qui s'étendent à perte de vue captivent le regard. Seul le gazouillis des oiseaux vient troubler le calme pesant, dans cette petite localité, où, il y a à peine deux ans, de violentes échauffourées opposaient les agents de sécurité et les jeunes originaires de la ville.Ici, les distractions manquent et le temps s'égrène interminablement à regarder, à partir des terrasses des cafés, les rares étrangers qui viennent visiter la région. De temps à autre, des excursions sont organisées sur le site archéologique où se dresse l'imposant arc de la Tétrarchie, derrière lequel s'entrecroisent dans un ordre parfait les «cardi» et les «decumani», ces ruelles qu'empruntaient les Romains pour se rendre d'une cité à l'autre. Ensuite plus rien. C'est l'activité agricole qui occupe l'essentiel du temps de la majorité des familles. Après l'école, les enfants aident également aux champs. Ils doivent parcourir quotidiennement à pied entre cinq et dix kilomètres pour se rendre à l'établissement scolaire le plus proche. A l'adolescence, ils ne peuvent ni aller à la bibliothèque ni au cinéma, ni au théâtre et encore moins pratiquer une activité sportive, en raison de l'absence d'infrastructures de loisirs. «Nous n'avons vraiment rien comme loisir, relève Lassaâd Bargaoui, un jeune originaire de la région âgé de 24 ans, président de l'Association pour l'appui du développement global à Kasserine. Les familles qui habitent dans cette localité ont des revenus modestes et ont déjà du mal à supporter les frais scolaires pour se permettre, qui plus est, de payer des activités de loisirs à leurs enfants. Dès que j'ai grandi, j'ai commencé également à fréquenter les cafés, à l'instar des hommes qui habitent cette localité. C'est la seule distraction que nous avons ici ». Au cours de son enfance, la vie de Lassaâd et des autres jeunes de Sbeïtla n'a jamais ressemblé à celle des enfants habitant les grandes villes situées à quelques kilomètres de cette localité. Synonymes pour les uns de farniente, les vacances sont loin d'être une sinécure et représentent, chaque année, une corvée supplémentaire pour les petits de Sbeïtla qui doivent travailler pour économiser l'argent nécessaire pour les frais de la rentrée scolaire. «Issus de familles dont les revenus sont limités, beaucoup de jeunes ont dû, à partir de l'adolescence, travailler pendant les vacances sur les chantiers afin de gagner un petit pécule leur permettant de poursuivre leurs études ». Mais la chance n'a pas souri à tout le monde. A la fin du cursus primaire, l'absence de moyens à laquelle s'ajoute l'éloignement—ceux qui accèdent au collège deviennent internes et doivent quitter leurs familles — ont raison de la volonté de beaucoup d'adolescents qui décident à mi-parcours d'abandonner leurs études, ce qui explique le taux très élevé d'abandon précoce dans cette localité. Près de 60% de la population du gouvernorat de Kasserine n'a pas atteint le niveau secondaire selon les dernières statistiques qui ont été établies sur la région et qui ont été présentées au cours de la journée organisée à l'occasion du lancement du guichet d'urgence en faveur des jeunes Tunisiens affectés par des chocs multiples. «Ce sont notamment les filles qui abandonnent très tôt les études, souligne Lassaâd. Outre le fait que les familles refusent qu'elles aillent en internat, elles doivent subvenir aux besoins de celles-ci et sont obligées, par conséquent, de chercher un emploi. Elles exercent dans leur grande majorité dans les usines de textile comme ouvrières ou techniciennes supérieures ». Quant aux plus chanceux et aux plus chanceuses qui sont parvenus, malgré les embûches, à obtenir leur diplôme du baccalauréat, ils rêvent d'une vie meilleure dans la capitale. Après avoir quitté la région et effectué des études en ingéniorat, dans les langues, dans les sciences, c'est pourtant une réalité amère qui les attend. Sa maîtrise en génie mécanique en poche, Wajih, 25 ans, connaît, en effet, comme beaucoup de jeunes les affres du chômage. Ce dernier, qui a déposé son CV dans plusieurs entreprises dans l'espoir de décrocher un emploi , a vu toutes ses tentatives vouées à l'échec. Ne pouvant supporter davantage la cherté de la vie, il est obligé de retourner à Sbeïtla. «J'ai fait des petits boulots pour pouvoir subvenir à mes besoins, explique le jeune chômeur. Mais je n'ai pas pu rester à cause de la cherté de la vie. Actuellement, je poursuis des études de troisième cycle en génie mécanique et agro-industriel dans l'espoir d'enseigner». La recherche d'un emploi s'avère généralement vaine dans la région. La seule dynamique économique générée dans le gouvernorat résulte de l'activité de deux petites zones industrielles spécialisées dans le textile, dont la capacité d'embauche est limitée. «Il est pratiquement impossible de trouver un emploi à Sbeïtla dans les spécialités que nous avons suivies, relate Lassaâd. Quant aux entreprises de textile, elles emploient au maximum deux à trois cents personnes, leur capacité est limitée. Les zones industrielles du gouvernorat ne peuvent pas à elles seules résorber le chômage, c'est ce qui explique que le taux de chômage soit très élevé dans la région », conclut le jeune président de l'Association pour l'appui du développement global à Kasserine. Afin de venir en aide à ces derniers, un don japonais a été accordé à la Banque mondiale pour financer le lancement d'un guichet d'urgence en faveur des jeunes Tunisiens affectés par des chocs multiples. Les jeunes de la région pourront bénéficier, dans le cadre de ce programme, d'une formation pour pouvoir monter leur propre projet.