Par Jawhar CHATTY Un convoi de camionnettes roulait l'autre jour au pas. A l'heure de pointe, 8h du matin, sur un axe stratégique du pays. La Z4. A l'embouchure du pont de la République, tout juste avant la Cité fantôme de la culture, un reliquat d'un projet stalinien à l'arrêt et à l'abandon. Et un immense embouteillage. Et une tension dans l'air. Pour tous ceux qui ne le savent pas encore, la Z4 est cette unique bretelle qui relie les deux seules autoroutes du pays et qui permet ainsi une certaine continuité sociale et économique entre le nord et le sud du pays, entre son versant méditerranéen et son versant continental. D'aucuns avaient cru, vu les circonstances, à un convoi militaire. Les plus optimistes et de loin les moins sûrs, croyaient à un simple mais bien dramatique accident de la route. Encore un peu, et il n'était en l'occurrence guère exclu que des «messages circulant sur Facebook» fassent état d'une nouvelle révolution ! Ce n'était en fin de compte qu'un convoi de fourgonnettes affrétées par... un opérateur de téléphonie mobile. Par des fourgonnettes bariolées aux couleurs de l'enseigne, cet opérateur cherchait tout simplement et naïvement à vanter les mérites d'une plus grande mobilité qu'offre l'un de «ses» tout nouveaux produits de l'Internet mobile ! Eh bien, c'est raté ! Comme il n'est guère recommandé pour ses farouches concurrents d'emprunter, du moins avec tant d'insolence, la même voie ! La concurrence est en effet franchement farouche entre les trois opérateurs. Avec le risque que ce genre de compétition ne tourne à la dérision. Et au grand bonheur de Facebook, elle tourne d'ores et déjà à la dérision ! A l'instar de banques, ces opérateurs choisissent la voie de la facilité. Leur offre est tout particulièrement tournée vers les particuliers au détriment du tissu productif. Une offre sans relativement aucun apport pour l'économie nationale. Elle ne fait, bien au contraire, qu'aggraver le surendettement des ménages, handicaper l'épargne nationale et surtout entretenir cette fuite en avant de la société et sa déconnexion de la réalité à force de plonger et de croire trouver une certaine thérapie à ses maux dans les réseaux sociaux et dans la virtualité. Il faudrait peut-être avoir le courage de s'interroger aujourd'hui sur l'impact d'un trop-plein de messages, de signaux et «d'amis» virtuels que véhicule quotidiennement, instantanément et en temps réel, Facebook sur une société en phase post-traumatique. Les sociétés les plus avancées se détournent aujourd'hui des canaux virtuels de la communication. Elles se détournent des réseaux sociaux alors même qu'elles souffrent le plus de l'individualisme et du phénomène de la désocialisation. Si elles le font aujourd'hui, c'est parce qu'elles mesurent les effets et incidences pervers et destructeurs de ces réseaux sur leurs sociétés. En Tunisie, même les partis politiques, et non des moindres, ont leurs pages et leurs comptes Facebook. Un excellent vecteur de propagande politique. Mais aussi un puissant vecteur de déstabilisation et un germe de désocialisation. Facebook a fait son entrée à la Bourse de New York au mois de mai dernier. Une opération de tous les records: la valorisation de l'entreprise avoisinait les 90 milliards de dollars (68,5 milliards d'euros) pour constituer l'une des plus grosses introductions de tous les temps. Pour sa deuxième journée de cotation à Wall Street, l'action du réseau social s'est effondrée de 11%, passant ainsi largement sous son cours d'introduction. Une catastrophe, une calamité. Les argentiers de la planète finance avaient compris qu'il n'était ni soutenable ni raisonnable d'offrir à leurs actionnaires du papier virtuel ! A méditer. Bien au-delà des basses visées mercantiles des trois opérateurs tunisiens de téléphonie mobile, il appartient aux décideurs politiques d'avoir l'audace de mettre enfin le doigt sur le risque, bien réel celui-là, que représente pour la société et pour l'économie tunisiennes, une certaine overdose dans l'utilisation à mauvais escient des réseaux de... «télécommunications».