Je l'avais connu, voilà plus de quarante ans. Il venait juste de terminer ses études d'éducation physique de l'institut de Leipzig. Dès son retour d'Allemagne, il avait retrouvé avec bonheur son club de toujours, l'illustre Zitouna Sports, où il avait été coureur de demi-fond et au sein duquel il comptait entamer une carrière d'entraîneur. C'était l'époque où les vestiaires de la rue Lénine ne désemplissaient pas d'athlètes ; l'ambiance «studieuse» et «bon enfant» prenait le relais de celle de l'école des années soixante-dix. Son retour au club avait fait exploser les résultats du demi-fond, à telle enseigne qu'il fut incontournable pour l'équipe nationale. C'est alors qu'une ère nouvelle s'était ouverte pour le fond et le demi-fond tunisien. «Les chronos» s'affolaient. Du 800m au 50km marche, les records de Tunisie pleuvaient, même la meilleure performance du 5.000m de notre Gammoudi national avait été pulvérisée par un certain Fathi Baccouche. Sur les 12 épreuves olympiques de course et de marche, ses poulains détenaient 7 records de Tunisie, soit près de 60% ; ceci sans compter les 5 autres records des distances anglophones et autres. A l'époque, les temps réalisés étaient d'un niveau mondial ; jugez-en par vous-mêmes : 1'45''78 sur 800m. 2'16''71 sur 1.000m. 3'31''70 sur 1.500m. 3'50''57 sur le mile. 7'46''17 sur 3.000m. 13'13''94 sur 5.000m. 8'15''06 sur 3.000m steeple. 2h12'36'' sur marathon. 1h19'02'' sur 20km marche sur route. 3h58'44'' sur 50km marche. Feu Erhard Labidi, car il s'agit de lui, est un de ces personnages qui ont contribué à la formation de milliers de techniciens issus de l'INS. Instructeur international désigné par l'IAAF, il était reconnu à travers le monde, ses programmes d'entraînement étaient sollicités par des champions olympiques. De par sa fibre maternelle allemande, Erhard alliait rigueur et compétence à humilité et sympathie. Il tournait en dérision toutes les situations afin de nous faire rire à gorge déployée et soulager ainsi les «douleurs» des séances d'entraînement contraignantes. Il était pour ses athlètes un ami, un confident, un grand frère. Malheureusement, son parcours d'entraîneur ne fut pas un long fleuve tranquille. Il avait été confronté à bien des vicissitudes émanant des «couloirs» même de la FTA. Certains, dits «responsables», champions en bureaucratie et immobilisme, en avaient fait une obsession. Que de fois son travail a été réduit à néant ! Pourtant, il résistait et prenait les choses avec grande philosophie et repartait toujours de plus belle, soutenu par Faouzia, la compagne de sa vie. Erhard avait la faculté de convertir les souffrances de l'entraînement en rigolades et bonne humeur. Ses «seuls coups de gueule» n'étaient adressés qu'à son athlète de frère Huber, «tête en l'air perpétuelle» et actuel technicien chevronné, dont les «oublis» sont classés désormais «anecdotes historiques» dans le milieu de l'athlétisme tunisien. Pour comprendre l'état d'esprit d'Erhard, il aurait fallu connaître feu sa chère mère que nous appelions tous affectueusement «Mama». Elle ne manquait jamais de nous gâter par ses fameuses tartes dont elle seule avait le secret. Les stages effectués en E.N. à l'INS de Kassar-Saïd finissaient toujours par un détour à Khaznadar, fief des Labidi, où l'hospitalité de «Mama» et de «Am Abdejabbar» était légendaire. Les JO de Londres sont imminents, Erhard n'y sera pas, lui qui avait conduit tant de champions et porté tant d'espoir lors des Jeux de Los Angeles, de Barcelone, d'Atlanta et de Sydney. Que Dieu ait son âme, nous aurons toujours une tendre pensée pour notre grand frère disparu. Erhard avait tant fait pour l'athlétisme national, il avait été un exemple pour nous tous ; ses amis, sa famille seraient vraiment honorés qu'un espace sportif soit dédié à sa mémoire.