«On a dû amputer les deux mains d'un petit garçon, parce que le père les a ligotées tellement fort que la circulation de sang a été bloquée. Ce dernier voulait punir son môme pour avoir gratté au stylo le nouveau salon, fraîchement déballé», raconte une psychothérapeute, membre de l'Association pour la promotion de la santé mentale de l'enfant et de l'adolescent — qui préfère garder l'anonymat —, le secret professionnel ne lui permet pas de dévoiler davantage ses expériences personnelles... Pour elle, la violence extrême est bel et bien présente dans la société. «Il est temps, aujourd'hui, de lutter contre elle», ajoute la spécialiste. C'est dans le cadre des activités de cette association qu'un groupe de spécialistes comptent opérer pour une meilleure compréhension des phénomènes menant à la violence . Une première réflexion a été publiée à l'occasion de la Journée internationale des enfants victimes innocentes d'agressions, célébrée chaque année par l'Unesco, mettant en relief la violence familiale, la violence communautaire, la violence dans les institutions et enfin la violence au travail. «La violence à l'égard des enfants innocents ne revêt pas chez nous l'apparence flagrante de l'enfant soldat, ou celle de la pornographie enfantine. Elle est plus discrète, au cœur des familles et des proches...une violence silencieuse sur laquelle pèse la culture du silence», commence par constater l'équipe. Comment éduquer son enfant, sans fessées ni claques ? Comment condamner le discours sur les vertus éducatives des châtiments corporels, soutenu depuis des décennies? Comment protéger l'enfant contre un environnement hostile et déstabilisé depuis la révolution ? Comment peut-on canaliser les frustrations personnelles en évitant de les projeter sur l'enfant déjà fragilisé ?...La violence est un élément complexe. Elle germe de la famille et se propage à travers la société. Les textes législatifs interdisent la violence sous toutes ses formes, aussi bien au sein de la famille, qu'à l'école, qu'au travail que dans la société. Mais la pratique laisse à désirer. Un amendement de l'article 319 du code pénal, voté en juillet 2010 par la chambre des députés de l'époque, considère la correction corporelle infligée par les parents à leurs enfants comme un acte pénal. «Nous nous sommes opposé très tôt, en tant qu'association à la parution de cet amendement. On a considéré, entre autres, que sa parution n'a pas été suffisamment préparée : il aurait fallu enseigner aux parents une autre manière d'éduquer. Notre crainte était que cette loi vienne saper l'autorité parentale déjà largement fragilisée», explique-t-on encore. Malheureusement, la violence familiale se perpétue souvent au fil des générations. D'après un document de l'Unicef, les enfants, élevés dans un foyer violent ou victimes de comportements de maltraitance, en gardent des séquelles longtemps après avoir quitté la maison. Ils risquent d'être eux-mêmes violents. Pour ces enfants, toujours selon cette référence, les conséquences psychologiques et comportementales sont dévastatrices. Ils souffrent d'incontinence ou de cauchemars. Ils sont plus exposés que les autres enfants aux allergies, à l'asthme, aux problèmes gastro-intestinaux, à la dépression et à l'anxiété. L'enfant en âge de fréquenter l'école primaire qui vit dans un milieu violent risque d'avoir des problèmes de concentration et des difficultés à suivre à l'école. D'ailleurs, l'article 28 de la convention internationale des droits de l'enfant fait le lien entre « droit à » et « droit dans » l'école où on stipule que «la discipline scolaire doit respecter les droits et la dignité de l'enfant». «Si en Tunisie, la loi interdit, dans les textes, l'utilisation des châtiments corporels au sein des établissements scolaires, force est de constater que la législation n'est souvent pas appliquée», note-t-on dans le document. Tous les élèves que les membres de l'association ont pu interroger sur ce sujet de la « violence à l'école » disent avoir été, au moins une fois dans leur vie scolaire, témoins d'une violence physique à l'égard de l'un de leurs camarades ou victimes de violence. L'apprentissage des enseignants d'une méthode alternative d'éducation aurait pu éviter ces formes de violence. Certes, la culture de la violence dans les pays ayant connu la révolution est un fait avéré. D'après les membres de l'association, les conflits qui agitent la société affectent durablement la vie psychologique et sociale des enfants et des adultes. «La difficulté des autorités actuelles à imposer l'Etat de droit ne fait qu'aggraver la situation», fait-on encore remarquer. La Tunisie baigne dans la violence. Pourtant, les actions menées depuis plusieurs années pour créer un environnement protecteur conforme à la convention des Droits de l'enfant sont multiples. Mais les changements ne peuvent se faire du jour au lendemain. Cette étude nous a permis de briser le silence, mais aussi d'avouer qu'il est grand temps que le visage de la Tunisie change et qu'on ne soit plus un Etat de loi mais surtout un état de droit. Nous pensons que former les adultes au métier de parents est une impérieuse nécessité.