Par Hatem Kotrane, Professeur à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis membre du Comité des droits de l'enfant (ONU) 1. En choisissant de présenter un nouveau projet de loi allant dans le sens d'une interdiction pure et simple des châtiments corporels, et ce, en procédant à la révision du Code pénal en vue de la suppression du paragraphe 2 de l'article 319 autorisant «la correction infligée à un enfant par les personnes ayant autorité sur lui», le gouvernement est en passe de réaliser une nouvelle avancée en ce qui concerne la reconnaissance d'une valeur essentielle qui transcende tous les principes et droits reconnus par la Convention des droits de l'enfant: la dignité de l'enfant. Tout enfant est, en effet, un être humain unique et précieux et, à ce titre, sa voix doit être entendue pour que, en toute hypothèse, sa dignité individuelle, ses besoins particuliers, son intérêt supérieur et sa vie privée soient respectés et protégés. Entre l'enfant-roi et l'enfant-objet, la Tunisie conformément à la Convention des droits de l'enfant a, sans nul doute, fait le pari de l'enfant sujet. Sujet de parole et de droit. 2. L'objectif est important car il rappelle que le respect des droits de l'Homme commence par la manière dont une société traite les enfants, tous les enfants ! Une société qui se soucie des enfants et des jeunes leur offrira la liberté et la dignité, en créant des conditions qui leur permettent de développer toutes leurs potentialités et d'être prêts à mener une vie d'adulte pleine et satisfaisante. 3. Mais s'ils constituent sans nul doute une déclinaison des droits de l'Homme adaptée à l'enfant, les droits de l'enfant sont cependant plus larges: l'impératif de protection de l'enfant requiert l'intervention de dispositifs spécifiques que les droits de l'Homme ne connaissent pas. Car, avant d'être une personne dans la cité, l'enfant a besoin, pour grandir, d'être entouré d'adultes. 4. Le projet de loi soumis à la Chambre des Députés ne vise nullement, dans ces conditions, à remettre en cause le rôle des parents et autres adultes intervenant dans l'éducation des enfants. Il ne s'agit pas du tout de définir de nouvelles infractions qui viendraient criminaliser l'exercice de l'autorité parentale. Il s'agit, au contraire, de supprimer un paragraphe qui revenait à légitimer l'éducation violente des enfants, en autorisant pratiquement l'usage de coups et autres formes de châtiments corporels, à titre de «correction infligée à un enfant par les personnes ayant autorité sur lui». En supprimant purement et simplement ce paragraphe, le législateur rétablit les priorités en assignat à la loi sa véritable mission : celle d'être un facteur de promotion continue du statut et des droits de l'enfant dans la famille et dans la société. 5. Le rôle de la famille et des parents reste à cet égard primordial. Si l'enfant est la raison d'être de la loi, il est avant tout au cœur de la vie de ses parents. Il est le fruit d'un père et d'une mère qui du fait de la naissance de l'enfant auront scellé un engagement, celui d'être parents, c'est-à-dire porteurs d'obligations envers un être inachevé, en totale dépendance des adultes. 6. Mais le rôle primordial de la famille et des parents ne saurait faire oublier le rôle de la société et de l'Etat qui, par sa loi, fournit le cadre juridique approprié et, par ses services administratifs, sociaux et judiciaires, apporte son assistance aux premiers responsables de l'enfant que sont les parents en les aidant à mieux comprendre et assumer leurs responsabilités et, le cas échéant, en cas de carence grave, en ordonnant une intervention appropriée. 7. C'est à ces valeurs qu'il conviendrait de rattacher la question de l'interdiction des châtiments corporels qui s'inscrit dans un large mouvement de réformes visant à consolider la famille et à y promouvoir, en particulier, le statut des femmes et des enfants, ainsi qu'à combattre toutes les formes de violence à l'égard des enfants. 8. Rappelons, au surplus, que dans ses observations finales à l'issue de l'examen du deuxième rapport périodique de la Tunisie, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies avait salué «l'adoption du Code de Protection de l'Enfant et la désignation de délégués à la protection de l'enfance qui s'en est suivie, ainsi que l'introduction d'une obligation de signalement des situations où des enfants sont en danger». En outre «Tout en prenant acte de la disposition du Code de protection de l'enfant relative aux mauvais traitements (art. 24) et de la disposition correspondante du Code pénal (art. 224), ainsi que de la circulaire ministérielle de décembre 1997 interdisant toutes les formes de châtiment corporel et les pratiques qui portent atteinte à la dignité des enfants, le Comité est préoccupé par le fait que les châtiments corporels ne sont considérés comme un délit que s'ils sont préjudiciables à la santé de l'enfant. …». Le Comité, en guise de conclusion relative à ce point, avait recommandé : a) De prendre toutes les mesures législatives voulues pour interdire le plus efficacement possible toutes les formes de violence physique et morale contre les enfants, notamment les châtiments corporels … . 9. Plus récemment, à l'issue de l'examen du troisième rapport périodique de la Tunisie, le Comité des droits de l'enfant a accueilli le projet de loi portant révision de l'article 319 du Code pénal et a recommandé de procéder rapidement à l'interdiction explicite de toutes les formes de châtiments corporels et autres formes de mauvais traitements infligés aux enfants. En même temps, le Comité a recommandé, conformément à son observation générale n° 8 (2006) sur " Le droit de l'enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments ", de prendre un certain nombre de mesures d'accompagnement et de mener, notamment, des campagnes d'information du public sur les conséquences néfastes des mauvais traitements infligés aux enfants et d'encourager l'adoption de formes de discipline positives et non violentes à la place des châtiments corporels . C'est à ce prix que la loi, en ce domaine, parviendra à réaliser sa finalité fonctionnelle, celle d'être tout à la fois une norme juridique et un outil pédagogique. 10. Pour le reste, la Tunisie nous parait être largement engagée depuis des années dans un mouvement d'ensemble visant à réaliser la cohérence nécessaire entre les objectifs de la prévention sociale et ceux de la protection juridique et, en cela, les résultats atteints placent la Tunisie, réellement, parmi les pays ayant largement contribué à mettre en œuvre les conclusions et recommandations figurant dans l'étude des Nations unies sur la violence à l'égard des enfants, présentée en octobre 2006 à la 61e session de l'Assemblée générale» des Nations unies .