Chers lecteurs, si vous n'avez rien à faire d'autre, durant ces quatre semaines à venir, coïncés, comme moi, entre un été torride et ce mois d'abstinences et de dévotion, réfugiez-vous dans vos livres, n'importe lesquels, pourvu qu'ils soient sérieux. Bons à vous faire réfléchir sur les heurs et malheurs de ce «Printemps arabe» qui, à plus de 45° à l'ombre (tout de même!), commence à nous chauffer à blanc. Ce petit préambule, chers lecteurs, pour vous dire comment à ma manière — ou à la vôtre — on peut en arriver à travers un ouvrage ancien ou moderne, religieux ou profane, oui, en arriver à se relier, inévitablement, à l'actualité du pays et à cette «nouvelle école du réalisme tunisien» après tant de thèses fallacieuses qui ont essayé d'en dénaturer le paysage, depuis la révolution du 14 janvier. En voici la démonstration : Je m'en vais dans le coin de ma petite bibliothèque ou ce qu'il en reste (1), je ferme les yeux et je prends un livre au hasard. Je m'attable et je lis. Cette fois, je lis dans «La confession de Claude» d'Emile Zola ou comment ce dernier encore timide pamphlétaire, à ses débuts, s'intéressait de très près à la peinture. C'était aux Batignolles en 1866 à l'époque de Manet et des impressionnistes, de «mon salon» et «mes haines» de Montmartre avec moulins et sans Sacré-Cœur et encore hors les murs de Paris à la guinguette du Père-Lathuile où les escapades de la peinture champêtre alternaient avec les «hochets stomathiques» des chopes de bière, «l'or vert des blancs», «le rouge violacé des aramons».(2) Dans ce roman, le personnage de Claude, c'est Zola lui-même qui se prend à la fois pour un critique et un peintre. En tant que critique, trois de ses articles étaient très remarqués. Quant à ce salon qui avait fait beaucoup de «laissés-pour-compte». Le premier «réclamait une nouvelle exposition des Refusés», le second visait l'«amas de médiocrité» du salon, le troisième était consacré à Manet. Très documenté grâce à son ami d'enfance Paul Cézanne qui lui écrivait souvent d'Aix en Provence, que d'autres amis peintres (Pissarro, Aller, Guillemet), Zola s'en prend au jury «qui a jugé d'après un parti pris». Il déclare ainsi que «le salon, c'est le Père-Lachaise de la peinture». Comme on dirait, chez nous, aujourd'hui : «Le printemps de La Marsa à El Ebdelliya, c'est le Jellaz de la peinture». Non? Je me trompe ? Alors, pourquoi, subitement, cette idée de rapport entre ces deux manifestations à cent cinquante ans de distance ? Allez savoir pourquoi... Quant à Zola peintre, il faut savoir qu'il était reconnu comme l'élève de Courbet. Mais le maître se méfiait. Dans La confession de Claude, roman autobiographique, on apprend aussi que Zola se dédoublant en «Claude» était parvenu à faire deux envois de tableaux sous ces deux noms. Les toiles signées Zola furent refusées, les «Claude» acceptées ! De la réalité au roman, il n'y avait qu'un pas que Zola ne franchit pas, cependant. Claude se suicide parce qu'il a été refusé. Zola, pour résumer cette situation, fait appel à la citation de Achille Fould, alors ministre de Finances, agioteur (spéculateur) et membre de l'Académie des beaux-arts : «L'art est bien près de se perdre lorsqu'il abandonne les pures régions du beau et les voies traditionnelles des grands maîtres» pour «suivre les enseignements de la nouvelle école du réalisme». Voilà le second rapport à la manifestation d'El Ebdelliya, mais vu sous l'angle d'un certain «réalisme tunisien» de circonstance entrepris par nos jeunes artistes issus de la révolution du 14 janvier, et qui voulaient en découdre avec les tabous de l'interdit figuratif et les thèses fallacieuses d'une pseudo-morale, hier érigées par le système dictatorial, que l'on sait, aujourd'hui, entre les mains et la pensée vindicative de certains ulémas. Les artistes tunisiens, depuis plus de soixante-dix ans, n'ont jamais touché au domaine du sacré. Ils naviguent aisément dans l'art du profane et leur imaginaire est le moyen idéal d'échapper aux multiples obstacles qui surgissent dans leur itinéraire. Le printemps des arts, toutes proportions gardées avec ce qui se passait à Paris, aura été ce «Salon des Refusés» sur lequel on n'a pas dit encore le dernier mot. Ainsi donc, d'une divagation livresque peut surgir un rapport, si infime soit-il, avec l'actualité la plus tangible, urgente, parfois, même, la plus chaude et la plus mouvementée. ______________ (1) Après tant de vols d'ouvrages, j'ai dû me résigner à calfeutrer les plus précieux dans des cartons de bananes d'Ecuador et dire, comme Maspéro en 68, aux amis de la cambriole: «Pourvu que vous les lisiez!» (2) d'Aramon : ville du Gard, cépage du Languedoc.