Assala Nasri a encore un public et des admirateurs en Tunisie. Dans la soirée du vendredi 10 août, l'amphithéâtre a tout de même pu les contenir, car il restait encore des places vides. A quoi s'attendre avec cette Syrienne à la voix d'or? Son retour sur la scène de Carthage, après des années d'absence, a été très marqué par ce qui se passe dans son pays, dans les paroles des chansons comme dans l'atmosphère du récital. Et si elle avait la parole généreuse, elle semblait chanter le cœur lourd, cherchant à l'alléger dans cette rencontre d'une nuit. Au-delà d'un public de mélomanes que les artistes arabes ont souvent loué, Assala Nasri s'est adressée au peuple d'un soulèvement précurseur, en ayant le corps sur scène et l'esprit là-bas, avec les rebelles syriens. La première chanson qu'elle a interprétée porte d'ailleurs leur nom, emportant l'audience qui montrait sa solidarité et semblait en même temps ravie des retrouvailles avec la chanteuse. Elle a enchaîné avec la toute première chanson de sa carrière, Laou taârafou, qu'elle a dédiée aux présents, puis avec son tube Assfa, réclamé par le public. Ces deux chansons sont nées à des étapes charnières de la carrière et de la vie d'Assala Nasri, qui est passée du registre assez doux et romantique de ses débuts, à un autre où les compositions sont plus osées et recherchées, où les paroles sont plus amères et poignantes, parlant entre autres de tromperie, d'orgueil et de renouveau, comme si elle cherchait à se prouver que rien n'est perdu et que l'on peut toujours repartir du bon pied, plus fort que jamais. Cela fait d'elle une artiste sincère, dans le sens où ses œuvres ne sont que le reflet de son âme et de ses divers états. Pour l'anecdote, elle compte parmi les rares chanteuses arabes à avoir révélé le détail des interventions de chirurgie esthétique qu'elle a subies, comme le signe extérieur d'une transformation plus profonde, venant de l'intérieur. Après Assfa, elle a chanté Mechit senin avant de mettre de l'ambiance avec son titre à succès Ya magnoun et Ah men aynah. Le thermomètre de la soirée a très vite rechuté après cela, quand elle est retournée aux ballades tristes, dont une nouvelle chanson qui sortira à l'occasion de l'aïd. Elle est passée après à un medley de qoudoud alepins, interprété sur un ton très mélancolique, avant de revenir à son propre répertoire: Jayé t'hannini bîidi, Aktar men elli ana bahlam bih, Ila mata et Adi, offrant au public un choix d'une grande qualité. En fait, Assala a de quoi être fière, concernant son flair artistique. Ses chansons sont vraiment des petits bijoux, triés sur le volet, côté musique et côté paroles, que seule une âme aussi alourdie que la sienne pouvait interpréter. Mais la plus grande partie du public semblait s'attendre à un programme plus joyeux et voulait que les retrouvailles se passent autrement. Assala Nasri s'en est quand même sortie haut la main et...la tête, en imposant l'écoute et en insistant à donner à son concert la couleur qu'elle voulait. Après tout, elle est parmi nous, alors que son peuple vit des moments très difficiles. Elle a même refusé la demande du public d'interpréter Alli gara de Oulaya, prétextant qu'elle n'aimait pas la chanter. Avant de finir avec Mab'ach ana, elle a encore parlé des jeunes rebelles syriens qui l'accompagnent tout le temps dans sa pensée. Un drapeau syrien lui a été offert par le public, elle l'a mis sur ses épaules et a parlé de ce qui lui faisait peur avant de monter sur scène. Des appels ont été, en effet, lancés sur Facebook pour boycotter son spectacle, à cause de sa position de la révolution syrienne. Elle y a répondu vendredi soir sur les planches du théâtre de Carthage, affirmant qu'elle a, depuis le début, soutenu la révolution et n'a jamais changé d'opinion. « Ces gens de Facebook sont une minorité, et votre présence le prouve», a-t-elle dit, en s'adressant au public présent, au bout de deux longues heures de chant et d'émotions. Assala Nasri nous est revenue quelque part changée (meurtrie, dirions-nous) mais toujours pareille, sincère, authentique et fidèle à elle-même, à son art et à ses admirateurs. Ses larmes, qui ont plusieurs fois coulé en silence sur scène, en disent long sur ses tourments. Nos pensées, tout comme les siennes,vont vers ses compatriotes, à qui l'on souhaite la fin du calvaire.