La polémique sur la fin de la légitimité, le 23 octobre prochain, du gouvernement actuel et de l'Assemblée nationale constituante, au cas où la future Constitution ne serait pas adoptée, est de retour, au sein du paysage politique national, ainsi que parmi les juristes et les constitutionnalistes. La Presse a sondé les réactions des différents protagonistes de la scène politique nationale, s'interrogeant sur leurs propositions quant à la solution qu'il faudrait trouver afin d'éviter un éventuel blocage institutionnel qui pourrait menacer la stabilité du pays et le faire entrer dans une phase de turbulences dont personne ne peut mesurer les risques. Témoignages Issam Chebbi, membre du bureau exécutif du parti Al Joumhouri : Pour un consensus national aussi large que possible Dans tous les cas, la situation actuelle ne doit pas se poursuivre au-delà du 23 octobre prochain, au plan de la légitimité issue des dernières élections. La Tunisie aura besoin d'un consensus national aussi large que possible qui définira, avec précision, ce qui reste à faire au cours de l'étape transitoire. Un consensus qui décidera par la force de la loi la date des prochaines élections. Au cas contraire, notre pays sera confronté à une crise de légitimité dont il n'a pas besoin à l'heure actuelle et dont il ne pourra pas supporter les conséquences. Au parti Al Joumhouri, nous considérons que cette question doit être examinée, après la rentrée parlementaire, au sein de la Constituante et en dehors du palais du Bardo, et ce, entre les partis politiques, le gouvernement et les composantes de la société civile afin de mettre au point un véritable calendrier des tâches à accomplir au cours de ce qui reste de la période transitoire et de parvenir à un accord sur les questions qui demeurent en suspens telles que le régime politique à choisir, les libertés et la problématique de la femme. Nous considérons que ce calendrier pourrait éviter au pays de tomber dans la crise de la légitimité du gouvernement et de la Constituante qui demeure l'unique institution légitime. Nous sommes appelés à trouver une solution à l'épineuse question du mandat conféré à la Constituante pour élaborer la Constitution et qui limite ses travaux à une année conformément au décret-loi convoquant les électeurs pour le rendez-vous du 23 octobre 2011 et au document relatif au processus démocratique signé par 11 partis dont Ennahdha et Ettakatol, deux composantes essentielles de la Troïka au pouvoir. Face aux déclarations contradictoires du président de l'ANC, du chef du gouvernement et du rapporteur général de la Constituante comportant des dates différentes et aussi lointaines l'une de l'autre, nous estimons que l'intérêt national exige la mise en place, dans le cadre de l'Assemblée nationale constituante, d'un calendrier afin que personne ne puisse instrumentaliser la date des élections au profit des intérêts de son parti. Abdeljelil Bedoui, vice-président d'Al Massar : Une date à respecter à tout prix En principe, la légitimité du gouvernement et de la Constituante doit prendre fin le 23 octobre prochain, conformément au contrat conclu, en ce jour historique, entre les électeurs et les gouvernants actuels. C'est un contrat moral à respecter à tout prix. Au cas contraire, les structures élues perdraient leur légitimité et leurs prérogatives. Ainsi est-il indispensable que l'on passe le 23 octobre prochain de la légitimité électorale à la légitimité consensuelle et procéder à la formation d'un gouvernement de consensus qui aura la tâche de préparer les futures élections. Quant à la Constituante, ses attributions devraient, aussi, devenir consensuelles et se limiter à promulguer les lois qui restent encore en suspens dont, en premier lieu, le nouveau code électoral. Pour ce qui est des différentes dates proposées par les uns et les autres au niveau de la Troïka, elles ne peuvent que nous obliger à appeler au consensus. Skander Bouallègue, porte-parole du parti de la Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement : Pour une feuille de route claire et précise Les dates contradictoires avancées par les différentes composantes de la Troïka sont inacceptables dans la mesure où il est impératif de mettre au point, à l'échelle de l'Assemblée constituante, une feuille de route claire et précise. Au niveau du parti de la Pétition populaire, nous avons déjà appelé à ce que les élections générales se déroulent le 23 octobre 2013, bien que n'ayant pas signé le document du processus démocratique. A travers notre participation aux travaux de la Constituante, nous étions placés devant deux choix. Elaborer une Constitution digne du peuple tunisien et de sa révolution ou verser dans la précipitation. Nous avons choisi la mesure et la pondération, mais notre choix ne veut pas dire que la période de rédaction de la Constitution peut rester ouverte à l'infini. Nous pensons que le gouvernement actuel est dans l'obligation d'organiser les élections générales, au plus tard en mars 2013, conformément aux engagements de son chef Hamadi Jebali. Nous avons accepté cette date dans l'objectif de permettre au gouvernement et à l'ANC de préparer les élections dans les meilleures conditions. Malheureusement, les déclarations contradictoires et les indiscrétions publiées dans les journaux montrent que le gouvernement cherche à faire prolonger l'étape transitoire dans le but de dévoiler ses réalisations que les Tunisiens n'ont pas encore découvertes. Au cas où la Constitution ne serait pas adoptée le 23 octobre prochain, je pense que la légitimité de l'Assemblée nationale constituante reste en vigueur dans la mesure où elle représente la seule institution élue. Quant aux déclarations de Béji Caïd Essebsi et de Yadh Ben Achour, elles n'engagent que leurs auteurs. Il est impossible de laisser le pays sans aucune légitimité et de créer un vide constitutionnel. Boubaker Bettabeth, juriste et ex-secrétaire général de l'Isie : Le consensus pour éviter l'instabilité Il est indispensable de mettre en place une feuille de route en prévision de la prochaine étape transitoire, et ce, dans le but de parer aux dangers qui peuvent menacer le pays. Lors des périodes transitoires, il est demandé de s'accorder sur un calendrier politique fondé sur des objectifs clairs et des délais définis à l'avance qu'il faut respecter impérativement. Au cas où ces délais seraient dépassés, il faut que les nouvelles dates soient l'objet d'un consensus entre les différentes parties, ce qui permet de créer un climat de confiance et ouvre la voie à la réussite, objectif partagé par tous les protagonistes. Sur le plan juridique, il n'y a pas de textes qui stipulent que la légitimité du gouvernement et de la Constituante sera caduque au-delà du 23 octobre prochain. Par contre, sur le plan politique, il y a des règles de consensus auxquelles on peut avoir recours dans le but d'éviter que le pays bascule dans l'instabilité et le désordre. Entre l'attachement au juridisme pur et la recherche du consensus, j'opte pour la stabilité fondée sur le consensus. Abdelwaheb Héni, président du parti Al Majd : L'heure est à la légitimité consensuelle Il faut rappeler que le décret des élections en date d'août 2011 a limité à une année la durée des travaux de la Constituante. Idem pour le document du processus démocratique signé par onze partis politiques. Il s'agit d'un engagement moral que l'ANC doit respecter, mais pas au détriment de la qualité. Nous avons besoin d'une bonne Constitution consensuelle qui garantit nos droits, notre stabilité et notre prospérité. Le 23 octobre prochain, dans deux mois, jour pour jour, la légitimité électorale, somme toute provisoire et limitée dans le temps et dans les prérogatives, doit être consolidée par la légitimité de consensus. Al Majd appelle le président de l'ANC à assumer ses responsabilités et à prendre l'initiative de réunir les chefs des partis représentés ou non représentés au sein de la Constituante pour dégager le consensus le plus large possible quant à la fixation d'une nouvelle date et la mise en place de la feuille de route relative à la troisième phase transitoire et de dégager le compromis nécessaire autour du régime politique à choisir. Contrairement aux tambours battant pour la guerre le 23 octobre prochain, nous appelons à une grande consultation nationale le 18 octobre 2012 pour fêter le mouvement du 18 octobre 2005 qui avait été couronné par un esprit d'union nationale qui consolide nos acquis et fédère nos efforts pour une Tunisie démocratique et prospère, ancrée dans son identité et ouverte sur la modernité.