Incidents graves entre les alliés au pouvoir. Le président de la République a jeté un pavé dans la mare en comparant avant-hier, à l'ouverture du congrès du CPR les pratiques d'Ennahdha à celles du régime déchu. La réaction fut instantanée. Offusqués par cette accusation « de faire main basse sur les rouages du pouvoir », des ministres et leaders nahdaouis ont quitté d'un pas furtif le Palais des congrès. Leur chef Rached Ghannouchi, plus aguerri politiquement ou parce qu'invité plus tard à prendre la parole, est tout de même resté. Il a rendu illico la pareille dans son allocution en minimisant la portée des paroles de Moncef Marzouki, qui n'est que l'ex- président du CPR. Après tout. Que faut-il en penser ? Un coup d'éclat motivé par une manœuvre électorale ? Ou bien légèreté du propos présidentiel? Quoi qu'il en soit, le coup est parti. La chancelante Troïka accuse un coup de plus, que la presse s'est chargé de répercuter à grande échelle. Le quotidien français Le Monde titre : «Le président tunisien tire à boulets rouges sur ses alliés islamistes ». Des dirigeants et conseillers, M.Abou et M.Ben Amor en tête, se sont empressés de minimiser la portée des phrases du président servies par procuration par M Walid Hadouk qu'il fallait «placer dans leur contexte». Les paroles sont claires et n'ont pas besoin d'être interprétées, leur rétorque de loin le porte-parole du gouvernement et ministre, Samir Dilou. Samir Dilou : «N'en rajoutez pas, s'il vous plaît» Le ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle a prié les conseillers et proches du président de la République «de ne pas en rajouter et d'arrêter avec leurs rectificatifs ». Joint par La Presse, l'éloquent ministre persiste et signe en précisant que les phrases dites ne laissent aucune équivoque quant à leur compréhension. « Elles contiennent des accusations inacceptables et des données non conformes à la réalité, injustifiées et injustes». Malgré cette prise de position forte, le ministre rassure quant à la pérennité de la Troïka : «Nous faisons primer l'intérêt du pays sur tout le reste et restons convaincus de cette alliance», nuance-t-il, pour ajouter avec un certain détachement « Nous nous plaçons au-dessus des insultes personnelles et faites à l'encontre du parti ». Invité à décrire avec précision son état d'esprit et pourquoi pas son état d'âme, le ministre répond en ces termes : « J'ai été à la fois blessé et en colère et même déçu, j'ai senti une profonde amertume», pour lancer en guise de conclusion une petite phrase non dénuée de dérision à son destinataire qui se reconnaîtra : « On ne peut pas être à la fois au Palais de Carthage et dans l'opposition. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre.... ». Voilà qui est clair. Samir Ben Amor : «Nous avons une confiance totale dans les jugements du président» En contrepoint, Samir Ben Amor, trésorier du CPR, précise méthodiquement que l'allocution du « père spirituel du CPR », a été approuvée par les congressistes et ailleurs par la classe politique. Un père fondateur pour lequel « nous avons un respect et une totale confiance dans ses prises de décision et évaluations », affirme-t-il vénérablement. Pour ce qui concerne l'affaire du jour, le premier conseiller aux affaires juridiques du président de la République répond que « les dirigeants d'Ennahdha ont été rapides dans leur jugement, et d'avoir quitté la salle et qu'ils auraient dû attendre la fin du discours pour mettre les phrases dans leur contexte ». Le président a tenu à faire passer un message, insiste-t-il, sur la solidité de l'alliance qui « n'est pas une crise passagère ou un partage du butin mais un vrai partenariat stratégique contracté pour le bien du pays ». Et qu'en est-il des luttes internes dans votre parti qui auraient pu presser le président à prendre position dans un sens ou dans l'autre? Question de La Presse. En fin diplomate, M.Ben Amor répond par la négation, et pour cause, « le président Marzouki est le président de tous les Tunisiens et ne prendra aucune position pour les uns au détriment des autres ». Sortie de crise Malgré son agitation chronique, la Troïka continue son petit bonhomme de chemin ou sa traversée du désert, à chacun de juger. Les divergences des protagonistes de la coalition triangulaire s'accumulent, les écarts s'élargissent, les crises se rapprochent. Mais, tout porte à croire que les partenaires restent stratégiquement attachés les uns aux autres en se disant sans doute : je ne t'aime pas mais je ne te quitte pas. Ce spectacle à ciel ouvert au sommet de ce qui reste de la République avant d'annoncer la deuxième, le peuple tunisien le suit médusé, moqueur ou indigné. Une réunion de l'instance supérieure de coordination des parties de la Troïka est prévue dans les prochains jours. Son comité d'organisation avise habituellement les concernés 48 heures à l'avance. M.Ben Amor précise à La Presse que le discours du Président serait certainement à l'ordre du jour entre autres. Ah, si on pouvait être présent !