Par M.A. BOUHADIBA* La mosquée Zitouna va reprendre du service. On va en faire un grand pôle d'enseignement islamique, digne de sa gloire passée et de la valeur des gens qui y ont enseigné. Pendant plus de 13e siècles, elle a été le phare de l'Islam sunnite en Afrique, elle eut son apogée sous les Hafsides mais depuis, l'enseignement a périclité. Il y eut plusieurs tentatives de réformes, la première en 1890 sous Kheïreddine, qui, ne voyant pas venir les résultats escomptés, chercha une autre alternative en créant la Sadikyia. Les étudiants zitouniens eux-mêmes demandèrent des réformes mais toutes les tentatives n'aboutirent pas pour plusieurs raisons dont la principale était la résistance des ulémas. A l'indépendance, elle fut intégrée à l'Université de Tunis. Aujourd'hui, la Zitouna retrouve son indépendance et a pour vocation de relancer l'enseignement religieux en Tunisie, mais il faut comprendre que l'enseignement religieux ce n'est pas la religion c'est un enseignement et tout enseignement a un but. Si on prend l'enseignement moderne, son but est de préparer les jeunes aux rapides changements du monde et de la technologie. Il les forme pour être compétitifs sur le marché de l'emploi et pour devenir de bons dirigeants chez eux ou ailleurs. Pour l'enseignement religieux, l'emploi est secondaire, ce qui prime c'est l'ancrage de la société dans la tradition, le développement de l'identité arabo-musulmane et le sens de la communauté (Ummah)...Son but est de développer une société harmonieuse à l'abri des problèmes de la vie moderne. Cet enseignement intègre les sciences mais sans approfondir, semble-t-il, le lien avec la religion. En tant que parents il est normal que nous nous intéressions à ce qu'on va apprendre à nos enfants et pour mieux comprendre, il faut se référer à de grandes institutions comme la mosquée Al Azhar au Caire. Notre ministre des Affaires étrangères l'a bien compris puisque sa première mission à l'étranger fut d'assurer un jumelage de la Zitouna avec Al Azhar. Au passage, saviez-vous que la première mosquée Al Azhar se trouvait en Tunisie, celle du Caire fut la deuxième du même nom. Al Azhar c'est le plus grand centre d'enseignement islamique du monde, c'est plus de 60 facultés, 8.000 écoles et plus d'un million et demi d'élèves et d'étudiants; c'est énorme, mais qu'y apprend-on? C'est la question que s'est posée, dans une enquête, la journaliste et universitaire spécialisée dans l'enseignement, Mme Labiba Sayed Najjar. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que les élèves du primaire et du secondaire étudient des livres vieux de 4 siècles. Ce sont les livres des imams Abdallah Ben Mahmoud, Majdeddin El Mawsouli 1.156 pages, Ahmed Dardir 1.139 pages, Shamseddin Mohamed Al Sharbini 1.043 pages, Charfeddin Abi Najaa El Hajawi 577 pages. Ces livres développent les préceptes de l'Islam mais ils sont difficiles car la langue et le style utilisés sont anciens et les méthodes du quyias différentes d'aujourd'hui.. De nombreux sujets classiques comme salat, zakat, le mariage, etc., y sont traités, mais à côté de cela ils parlent de choses pour le moins inattendues. Ayant été écrits avant les découvertes scientifiques, ils donnent des faits que la science a depuis longtemps démenti. Ainsi on y lit qu'une grossesse dure quatre années, que l'urine de chameaux soignait de nombreuses maladies, que le sommeil est le relâchement des muscles du cerveau dû aux vapeurs qui montent de l'estomac, que la folie c'est l'insensibilité du cœur avec persistance des mouvements du corps, etc. Ces livres donnent aussi des conseils pratiques dont l'utilité pourrait ne pas apparaître à première vue. Ils conseillent de ne pas dormir le soir près d'une mare car elle abriterait les djinns. Si une mouche tombe dans un verre de lait elle n'est impure que si elle tombe du côté de l'aile gauche. Pour savoir si une bestiole est impure ou non, il faut la saigner, si du sang s'écoule, elle est impure, ainsi les puces et les punaises ne semblent pas être considérées comme impures. Avant de dormir, toujours plier ses vêtements de crainte qu'un djinn ne s'y introduise à notre place. Et beaucoup d'autres conseils «judicieux». Mme Labiba Najjar conclut son enquête en disant qu'il faudrait peut-être penser à supprimer certains chapitres pour moderniser cet enseignement. Le deuxième grand centre d'enseignement religieux c'est le Pakistan. Il est grand par le nombre de ses madrassas, plus de cinquante mille au total. Les 3/4 de ces madrassas échappent à tout contrôle car non enregistrées auprès des autorités. Il n'y a pas d'informations sur les programmes enseignés et il n'est même pas sûr qu'ils suivent les règles de l'orthodoxie islamique. Il existe plusieurs tendances qui ne s'accordent pas entre elles mais la majorité sont déobandi. Ces madrassas prônent l'isolement, le repli sur soi et l'obéissance absolue à l'enseignant. Leurs références sont des livres anciens et ils mettent un point d'honneur à ne pas utiliser les instruments «modernes» d'enseignement comme le tableau noir par exemple. Le rapport de l'International Crisis Group sur ces madrassas, en 2002, constate qu'un grand nombre enseigne le fondamentalisme, l'intolérance et la haine non pas seulement envers les non-musulmans mais même entre eux. De nombreuses madrassas se seraient affrontées dans des luttes armées. Beaucoup ont formé les talibans pakistanais et afghans, la plus célèbre de ces madrassas appelée Dar El Ouloum Al Hakimi a été surnommée l'école du jihad. Son directeur M. Sayed Youssef Shah proclame fièrement qu'il forme trois mille combattants par an. Pour avoir une idée de la performance de l'éducation dans ces deux pays, il faut consulter l'Education Index of Human Development Report, celui-ci sur 200 pays classe le Pakistan 167e et l'Egypte 136e. A signaler que la Tunisie caracole loin devant. Ces deux exemples montrent bien ce qu'on ne voudrait pas voir en Tunisie. Il serait détestable que la Zitouna se transforme en bastion du temps perdu, en creuset de l'intolérance ou en avant-poste de la résistance à l'Occident. Il s'agit de nos enfants, il ne saurait être question de laisser aux imams le seul soin de concocter en secret les programmes d'éducation religieuse, tout le monde doit participer et un débat doit s'ouvrir dans la clarté et la transparence. *(Médecin)