Il y a vraiment de quoi s'inquiéter : les grands gardiens et les grands défenseurs figurent plutôt dans les livres d'histoire que sur le terrain. Une équipe qui ne sait pas défendre ne sait pas gagner. Le constat est plus que jamais valable pour l'équipe de Tunisie. Dans le rendement collectif de ses joueurs, dans leur application individuelle, il y a cette incapacité à résister à la pression adverse, à gérer les différentes phases de jeu et surtout à afficher la concentration nécessaire dans les moments difficiles. L'on n'a jamais cessé de répéter que gagner, c'est jouer. Mais encore faut-il avoir les assises et les arguments nécessaires pour se doter d'une arrière-garde solide. En effet, la valeur d'une équipe ne se mesure-t-elle pas en grande partie par sa capacité défensive? Un bon gardien et une bonne défense, c'est 50% de l'équipe. Dans leurs approches et dans leurs conceptions tactiques, la plupart des entraîneurs commencent par renforcer leur arrière-garde. Le reste viendra sûrement. Le jeu de football a évolué, mais il n'est plus aussi spectaculaire et aussi riche qu'il a pu l'être par le passé. Il a changé car la technique ne tient plus une place prépondérante. Pour certains, la richesse du football, ce sont les beaux gestes, les attaques, les dribbles, les prises de risques. Pour beaucoup d'autres, la base de l'équipe restera toujours une bonne défense. Peut-on dès lors parler de progrès tactique? S'il y a évolution, à quoi répond-elle? Tout simplement à éviter la défaite. Pareille option reste l'organisation la plus rationnelle à condition, toutefois, que l'équipe joue le plus haut possible. Le plus important, c'est l'équilibre et la répartition des joueurs sur le terrain. Le meilleur moyen de combiner et de créer des espaces, c'est de resserrer les lignes. On peut préconiser le football total. Mais lorsque les lignes sont trop distantes les unes des autres, on est «mort»! Aujourd'hui, on voit l'équipe de Tunisie étaler son jeu sur 50 mètres et on a de plus en plus l'impression que son système est devenu plus important que sa stratégie pure. Jouer sur les faiblesses de l'adversaire, multiplier les astuces, provoquer les fautes, on le voit de moins en moins. Il est évident que les défenseurs se ressemblent de plus en plus. On parle aujourd'hui de joueurs robotisés. L'anticipation, le coup d'œil, la bonne relance, autant de qualités qui ne sont plus tout à fait de mise et semble de plus en plus perdre la sélection tunisienne. Il y a davantage d'athlètes que de purs défenseurs. Le résultat, on le connaît : à la moindre alerte, c'est la déstabilisation. Un bon défenseur doit aussi savoir se débrouiller balle aux pieds. On est pourtant convaincu que, chez certain, le talent est là, mais cherche-t-on à ce qu'ils s'expriment librement? N'accorde-t-on pas trop d'importance au seul facteur physique? Ça sonne faux A force d'accumuler les défaillances, à force d'emmagasiner des éléments négatifs, l'arrière-garde de la sélection tunisienne est passée du statut de compartiment solide, symbole de rigueur et du sens du combat, à une défense submergée par son incapacité à anticiper et à s'imposer. Elle a fini ainsi par perdre la face au point de perdre la lucidité. On devient de plus en plus persuadé que les grands gardiens et les grands défenseurs figurent plutôt dans les livres d'histoire que sur le terrain. Une défense qui ne s'assume pas est une défense fragile et fragilisée, tel était, sans doute, le cas de l'équipe de Tunisie face à la Sierra Leone, une équipe qui s'est montrée incapable de soutenir la pression adverse sans pouvoir afficher l'autorité que lui recommande pourtant ce genre de match. Le rendement défensif de la sélection s'est trouvé ainsi souillé par une poignée de joueurs égarés dans leur comportement à l'emporte-pièce. Les événements montrent d'ailleurs l'ampleur du mal: il n'y a pas souvent de pilote pour diriger la défense, et pas de boussole pour connaître la direction à suivre. L'on ne saurait ainsi ignorer que l'accusation de ne pas s'être impliqué, de ne s'être pas suffisamment donné est la plus sévère qui puisse accompagner la performance d'une équipe de football. Défense donc aux abois, bataille perdue dans la zone de réparation. Le problème est bien là : les cadres n'assument pas leur rôle. Ou du moins, ils n'en ont point l'aptitude. Certains ont trop à faire avec leurs propres défaillances pour remédier à celles des autres. Il faut dire que tout semblait glisser depuis quelque temps et l'avertissement ne se faisait pas attendre. La stratégie défensive restait structurellement prisonnière d'une organisation qui date de l'âge de pierre. L'idée que ce compartiment devait être replacé à sa juste valeur ne date pas d'aujourd'hui. Les véritables besoins et impératifs jusqu'ici ignorés, il est vrai sous l'effet d'arguments erronés et déplacés, ont fait que l'on continue à se tromper de priorité, mais aussi de conjoncture et de contexte. La défense tunisienne s'est encore une fois égarée au moment où elle devait pourtant accéder à un nouveau palier, prendre une plus grande dimension. Sami Trabelsi n'a jamais cessé d'insister sur la nécessité de réduire les espaces. Il insista une fois de plus sur le recul-frein, la solidarité. Mais quand les jambes ne répondent plus, le recul devient une retraite et la solidarité un vain mot. Il est évident qu'un nouvel ordre s'impose pour retrouver une certaine lisibilité défensive plus que jamais perdue. Et c'est précisément pour cette raison que le sélectionneur a intérêt à revoir les paramètres du rendement défensif de son équipe en termes de potentiel humain, de rigueur, mais aussi de complémentarité. D'une certaine culture de la défense, de la durée et de la persévérance.