Par Soufiane BEN FARHAT En fin de compte, tout est affaire de communication. Et celle-ci présuppose la prévision. Dans son interview diffusée avant-hier soir, M. Hamadi Jebali, chef du gouvernement a esquissé un timide mea culpa. En somme, a-t-il concédé, le gouvernement n'a pas ouvertement reconnu devant l'opinion la somme considérable des tâches prévues, des défis à relever et des difficultés encourues. Soit. Mais la bonne gouvernance suppose la prévoyance. Jusqu'ici, le gouvernement a été sourd aux injonctions des observateurs de divers bords. Toute critique, tout conseil, ont été assimilés à des entraves sournoises. Il en est venu à cultiver une attitude solipsiste. Tout revient à gouverner seul soi-même à ses yeux. Les autres, tous les autres, sont des intrus, des malintentionnés, des ennemis tapis dans l'ombre des discours. Il en va ainsi de l'opposition comme, bien évidemment, des médias et des syndicats. Combien de fois n'a-t-on pas réécouté la litanie «laissez le gouvernement travailler» (khalli il houkouma tikhdem) ? C'est devenu un leitmotiv, une idée fixe. Pourtant, dans les phases transitoires, seul le consensus constitue le bon remède aux inévitables blocages. Autrement, c'est la transition bloquée, engluée dans un état de décomposition pérenne. M. Hamadi Jebali devrait dépasser la seule sphère déclamatoire et autres généreuses énonciations de principe. Depuis trois mois, il n'arrive point à nommer un ministre de l'Economie. Ni à élargir son gouvernement, comme ce fut annoncé il y a bien trois mois, lors du congrès de son parti, le mouvement Ennahdha. Les échéanciers économique, social, régional et politique font du surplace. On végète dans l'inconnu, à défaut d'agenda clair net et précis. Dans les régions, les situations explosives produisent, par intermittence, des émeutes sporadiques. Chaque fois, on touche le fond davantage. Et dire que ce gouvernement est là depuis seulement et à peine neuf mois. Il a réussi à cumuler les tares de vingt-trois ans de l'ancien régime. Sans passer par les états de grâce ou l'embellie initiale. Ici et maintenant, on a commencé dans le vertige et la chute libre. La coalition gouvernementale ne tient plus. Les déclarations des uns et des autres deviennent contradictoires. Les agendas individuels l'emportent sur la dynamique de groupe. Et le pire, avec la rentrée politique, c'est que la Troïka soit rentrée, psychologiquement, dans la logique de la fin de règne. En prévision de la dernière ligne droite avant les élections escomptées à court terme. Le relâchement de la charge gouvernementale, on va l'éprouver de plus en plus. C'est dire que le mea culpa du chef du gouvernement équivaut à concéder, du bout des lèvres, que le verre est à moitié vide. Et rien de plus. On s'attendait à une initiative nationale d'envergure impliquant les partis, les syndicats, la société civile. Il n'en est rien. Le bal en solo ne finira pas de sitôt. Aujourd'hui, ici et maintenant, il faudra courir deux fois plus vite pour prétendre rester à la même place. L'exigence est immense et les protagonistes, gouvernement en tête, ne donnent pas l'impression de s'y préparer. Entre-temps, M. Hamadi Jebali devra faire le grand ménage. Il y a quelque temps, on nous avait dit qu'il avait concédé quatre mois de période d'essai à ses ministres. Une sorte de mise à l'épreuve au bout de laquelle ils seront maintenus ou limogés. M. Samir Dilou, porte-parole du gouvernement, l'avait bien assuré. Et là aussi, il n'en est encore rien. Pourtant, entre-temps aussi, des affaires louches ont éclaboussé ce gouvernement. Parentés intéressées, sociétés et entreprises cachées, népotisme, clientélisme, corruption, prise illégale d'intérêts et divers autres fléaux collent à certains membres du gouvernement. Bref, une occasion en or pour le chef du gouvernement pour rebondir, remettre de l'ordre dans la baraque, regagner en notoriété. Mais, là aussi, il n'en est rien. Les rênes de l'attelage lui échappent visiblement. Le centre de décision est ailleurs.