Imaginons une société, en l'occurrence la nôtre, sans culture et sans arts. Imaginons que tous les espaces de rencontres et de représentations disparaissent du jour au lendemain, que les artistes plient bagages et quittent le pays. Comment serait alors notre vie ? Cette hypothèse alarmante n'est pas une pure fiction. Et cette vie sans formes ni couleurs n'est pas le fruit de notre imagination, c'est déjà le quotidien de nombreux Tunisiens dans les villes et villages de l'intérieur du pays qui, privés de culture depuis des années, en ressentent davantage le poids ces dernières années. Au grand dam des participants, le colloque organisé par le ministère de la Culture, mardi dernier, sur les droits culturels dans la prochaine Constitution ne s'est pas penché réellement sur cette question, à savoir le droit de chaque citoyen à la culture. Il n'empêche, quelques éminences l'ont évoqué en passant. Au fait, qu'entendons-nous par «inscrire les droits culturels dans la Constitution» qui est en cours d'élaboration ? Est-ce le droit des artistes à la liberté d'expression et à l'exercice de l'art sous toutes ses formes ? Est-ce la protection de la culture, de la langue, du patrimoine? Ou est-ce le droit et le libre accès à la culture de tout un chacun ? C'est dans ce sillage que le professeur Ghazi Graïri, secrétaire général de l'Académie internationale du Droit constitutionnel, a proposé une lecture comparative des différentes constitutions dans le monde en matière de notification des droits culturels dans ces dernières. Comment les constitutions dans le monde considèrent-elles la question culturelle? Telle est la question soulevée par Ghazi Ghraïri. La notification des droits culturels dans ces textes fondateurs des nations laisse transparaître les traumatismes subis par certaines sociétés des suites des pratiques coloniales qui ont œuvré pour l'effritement de la culture des populations colonisées ou des peuples qui ont subi des tentatives d'extermination et dont la culture, l'identité et même l'existence ont été menacées. Quant aux autres sociétés qui ont intériorisé depuis longtemps la question de la culture, de l'autre, de la différence et du droit à la culture, la question n'est même pas discutable et on ne trouve aucune notification des droits culturels dans leurs constitutions. Ghazi Graïri ne répond pas à la question : et pour la Tunisie alors, qu'en est-il des droits culturels? Il nous laisse peut-être la liberté d'en faire notre propre lecture. Pour sa part, Abdelbasset Belhassen, président de l'Institut arabe des droits de l'Homme, soutient l'approche qui joint l'éducation aux droits de l'Homme et l'accès à la culture pour tous. D'ailleurs, dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme, les droits culturels y figurent en bonne place. Abdelbasset Belhasen a par ailleurs soulevé l'absence quasi-totale de lieux de culture qui sont censés être le creuset d'une éducation citoyenne autour des droits culturels et universels. Ces principes de base inéluctables à toute société pour permettre un débat rationnel autour de concepts, tels que «la spécificité culturelle des peuples» et «l'universalité» à même de nous épargner des controverses du genre «complémentarité et droits des femmes», «la liberté de la femme et les droits de la famille et de l'enfant» ou encore «liberté d'expression et atteintes au sacré» sont pour Abdelbasset Belhassen le fer de lance qui doit mettre le doigt sur un principe universel. A cet égard, il soutient que dans cette phase de justice transitoire, «nous avons plus que jamais besoin de politiques nationales qui considéreraient la diffusion de la culture des droits de l'Homme et la restructuration de la culture et de l'éducation». Au même plan, l'intervention de Sami Brahem, islamologue, a porté sur la question de la création face au sacré. Il revient sur les significations du sacré et ce que la société considère comme sacré. Où réside la sacralité de la chose dans une société comme la nôtre? Est-ce l'entité divine ou plutôt toutes les représentations fictives, personnelles, culturelles et sociales du sacré ? Est-ce tout ce qui se réfère au sacré directement ou indirectement ? Au fait, après ce grand tour, entre les concepts et les approches des droits culturels et des questions théoriques et pratiques soulevées par les experts, les artistes et leurs représentations syndicales présentes lors de ce colloque, ces derniers restent sceptiques. Ils semblent tous d'accord sur l'obligation de la notification des droits culturels dans la nouvelle Constitution. Cependant, le grand souci qui les préoccupe demeure la manière de garantir le respect d'une telle notification. Avec quels outils? Par le biais de quelles structures ? Autant d'interrogations qui attendent les réponses idoines.