Par Abdelhamid Gmati Le 23 octobre n'a pas donné lieu à l'apocalypse annoncée par certains. D'aucuns, les partis au pouvoir ont même voulu en faire un jour de fête. L'Assemblée constituante a tenu une session extraordinaire avec la participation des trois présidents, histoire de commémorer le premier anniversaire des premières (dit-on) élections libres et démocratiques de l'histoire du pays. Soit et objectivement cela aurait dû donner lieu à une fête nationale. Hélas! On était loin de la fête. La séance plénière s'est tenue avec une assistance clairsemée, malgré la présence de plusieurs membres du gouvernement et de quelques invités. Les députés appartenant aux différents blocs de l'opposition ont appliqué leur annonce de boycott et se sont abstenus. On aurait aimé que cette manifestation soit l'occasion d'un nouveau départ, d'une nouvelle phase basée sur l'entente, le consensus, la préservation de l'unité nationale. Certes les trois présidents ont, dans leurs allocutions, appelé à la concorde et au travail au service des intérêts de la nation. M. Marzouki a été explicite à cet égard : « Il faut refuser de diviser les Tunisiens entre bons et mauvais ; corrompus et réformateurs; révolutionnaires et réactionnaires ; laïcs et islamistes; modernistes et salafistes c'est-à-dire entre Tunisiens de première et seconde zone, nous sommes tous les enfants de ce peuple et nous ne pouvons rien construire sur la rancœur, la haine et la suspicion permanente. L'unité nationale est notre acquis principal, et nos disputes doivent se dérouler dans ce cadre que nous ne devons jamais menacer». M. Ben Jaâfar, de son côté, a estimé que « cette période requiert un consensus national large, en faisant valoir l'intérêt suprême de la Nation». Quant à M. Jebali il a appelé « tout le monde, à leur tête l'Assemblée constituante, les partis politiques, les partenaires sociaux et médiatiques et les composantes de la société civile, à assumer la responsabilité de tout atermoiement à même de favoriser les conflits et les crises pouvant mener à la violence». Cela aurait dû aboutir à une unanimité. Alors pourquoi le boycott ? Une manière de protester disent, les auteurs absents. Une protestation contre ce qu'ils ont estimé une action de la part des partis de la Troïka pour fêter non pas les élections mais leur accession au pouvoir et pour imposer une légitimité électorale théoriquement perdue à cette date. En tout cas, l'Histoire nous enseigne que la politique de la chaise vide est rarement positive. Cette date était une occasion de bilan et de réconciliation. On sait que les constituants ont failli à leur tâche et n'ont pas rédigé la nouvelle Constitution. Toutes les feuilles de route et les dates butoirs annoncées auparavant se sont révélées être des leurres. Et le fait que les députés se soient mis à discuter le préambule de cette constitution lors de la séance de l'après-midi risque de ne pas être suffisant pour tranquilliser l'opinion publique et restaurer la confiance. Quant à la recherche de la concorde et de la participation de tous, il est permis d'en douter eu égard aux faits et déclarations de certains dirigeants et adeptes des partis de la Troïka. Ainsi, alors que les présidents parlaient d'unité nationale et de participation, des adeptes d'Ennahdha demandaent, à l'extérieur de l'Assemblée à dégager et à interdire un des partis de l'opposition devenu bête noire des islamistes et de leurs alliés. Alors que la société civile et tous les partis de l'opposition manifestaient contre la violence politique et la dissolution des milices, et des autoproclamés comités de protection de la révolution, le président d'Ennahdha prétendait que « ce sont les comités de protection de la révolution qui donnent la légitimité aux autres et non le contraire ». Le même nous avertit que les salafistes s'ils sont diabolisés (ils le font eux-mêmes par leurs actes violents) prendront le pouvoir d'ici 10 ou 15 ans. Par quel procédé ? Le terrorisme? Le Premier ministère nie que le Premier ministre se soit prononcé pour la dissolution de ces comités. La vice-présidente de l'Assemblée, députée d'Ennahdha, elle, ne trouve pas mieux que de faire taire un élu de Gabès et de vouloir l'expulser. Le CPR, qui avait participé aux événements ayant abouti au meurtre d'une responsable de Nida Tounès à Tataouine, veut faire interdire ce parti. C'est là une bien étrange façon d'œuvrer pour la concorde et l'unité nationales. En attendant, nos gouvernants continuent à accorder des interviews aux médias étrangers et à y tenir des propos diamétralement différents de ceux qu'ils réservent aux Tunisiens. Le problème est que ces médias ont des correspondants et des envoyés spéciaux dans notre pays et ils relatent ce qu'ils constatent. Ainsi notre Premier ministre estime (journal Le Parisien du 21 octobre) que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et « nous voulons bâtir une démocratie modèle pour le monde arabe ». Mais l'organisation Amnesty International affirme que « Les progrès réalisés en Tunisie en matière de droits humains après le renversement du président Ben Ali sont battus en brèche par l'équipe gouvernementale actuellement au pouvoir, qui suscite des doutes sur son engagement en faveur de réformes ». Que conclure ? Seulement que la Troïka, et particulièrement Ennahdha, veut faire cavalier seul malgré ses appels à la concorde et au consensus. Les trois présidents seraient-ils déconnectés de la réalité ?