De notre envoyé spécial à Alexandrie Sami AKRIMI Tout comme l'Egypte et la Tunisie, Al Ahly et l'Espérance veulent faire l'histoire L'Egypte n'a pas le cœur au foot en ce moment. Le tremblement de terre causé par la révolution est tellement immense, tellement inattendu, que les Egyptiens ont du mal à y croire et à se remettre du choc. C'est un pays tout entier qui fait l'apprentissage de la démocratie et de la liberté dans une ambiance d'école buissonnière, de fronde collective, de folie douce. Vendredi, peu avant l'heure de la prière, nous avions effectué un petit pèlerinage à Place Attahrir, là où tout s'est passé; là où tout a commencé... «Maidan Attahrir» que nous connaissions déjà pour avoir visité ce pays et cette capitale unique des dizaines de fois. Pas immense, place Attahrir, mais qu'est-ce qu'elle nous a paru immense à l'écran quand nous étions pétrifiés face à nos télés, à regarder défiler l'histoire et la révolution. En direct, vous vous rendez compte?! Nous avions peur, très peur que ça ne passe pas la deuxième fois et que cela se retourne comme un boomerang chez nous en Tunisie. La grande histoire dira que les révolutions tunisienne et égyptienne sont indissociables. La première a déclenché la seconde et la seconde a «légitimé» la première et lui a donné force et courage. Combien de fois avions-nous entendu de la bouche d'un Egyptien ou d'un Tunisien que nous sommes frères... Aujourd'hui, cette phrase de convenance prend toute sa force et sa signification : nous sommes frères de sang, frères de révolutions. Ces Tunisiens qui dérangent... En football, c'est un peu différent. Ce sont les Egyptiens qui ont ouvert la voie. Al Ahly, Ezzamalek et Al Ismaïlia (les Darawich sont les préférés de votre serviteur) sont repus de titres continentaux et ils ont toujours vu d'un très mauvais œil l'intrusion des clubs algériens, marocains et... tunisiens. Surtout tunisiens, depuis que Témime, Akid, Tarek, Agrebi et Attouga leur en ont fait voir de toutes les couleurs. A quelques très rares exceptions près, cette domination ne s'est pas démentie et l'on ne comprend pas ici comment un si petit pays puisse commettre le crime de lèse-majesté de contester la suprématie des Pharaons de Rifaât Al Fanaguili, Salah Salim, Al Jawhari, Abugarisha, Chehata et Al Khatib (Bibou). Il faut dire que la Tunisie a longtemps payé son boycott de l'Afrique du temps où l'Egypte amadouait l'Afrique, accueillait la CAF et contestait avec brio la toute-puissance des grands clubs d'Afrique noire. Leçons retenues avec une formidable accélération de l'histoire footballistique africaine pour les clubs tunisiens, toutes coupes confondues et, cerise sur le gâteau, une CAN remportée en 2004 par notre team national. Echelle de priorités Habituée à déstabiliser l'adversaire et à mobiliser les troupes à chaque veille de finale, la machine de guerre médiatique d'Al Ahly a trouvé cette fois-ci un concurrent plus coriace avec la révolution. Les titres et les débats sont désormais politiques et cette finale d'Al Ahly intéresse moins de monde, même pas les ultras qui boycotteront Alexandrie au nom de la solidarité avec les victimes de Port-Saïd. Mais il ne faut pas non plus se faire des illusions : l'Espérance rencontrera bel et bien Al Ahly à Alexandrie et les Egyptiens ont de nouveau soif de consécration après 4 bonnes années de disette. L'inévitable provocation avec l'accusation de l'Espérance de «manœuvres occultes» avec son arrivée retardée d'un jour, la campagne contre Tarak Bouchammaoui, la mise en doute de l'intervention de Youssef Msakni, mais rien de vraiment méchant, rien à voir avec de vieilles guerres médiatiques. Place au foot et au terrain tout à l'heure. Un terrain sous très haute surveillance, puisque c'est le ministre de l'Intérieur en personne qui a conçu avec le responsable de la sécurité d'Alexandrie le plan du déroulement de cette finale aller, avant et après la rencontre. Croisons les doigts à ce niveau. Opposition de styles Sur le plan sportif, nous avons confirmation que seul Mouawadh ne sera pas là et que l'arrière-gauche sera relevé par Chérif Abdelfadhil, alors que Barakat et Dominique Silva semblent avoir surmonté leurs petits bobos. Une chose est sûre, Al Ahly jouera son jeu habituel dans une tentative d'ouvrir le score, puis de gérer la rencontre à sa guise. Par ailleurs, et en l'absence de Msakni, les Egyptiens se méfient particulièrement de Afful et de N'Djeng, mais n'insistent pas outre mesure sur le dispositif «sang et or». Ce dispositif, parlons-en justement : il sera pratiquement identique à celui de Lubumbashi sauf qu'Al Ahly n'est pas Mazembe et que les attaquants égyptiens maîtrisent parfaitement l'art de jouer dans le dos des défenseurs. Nostalgique des bonnes vieilles méthodes de son ancien patron, Nabil Maâloul pense que sa nouvelle philosophie de jeu est valable par tous les temps et contre tous les adversaires. Nous ne sommes pas de cet avis, car nous pensons que les options défensives ont leurs limites et leurs... risques. Nous ne demandons qu'à être détrompés par le résultat et pourquoi pas, par un revirement de dernière minute : Blaïli ou Bouazzi. Al Badry et Maâloul seront tout à l'heure des hommes seuls face à un énorme défi!