Par Khaled TEBOURBI Il y a embrouille dans la transition démocratique. Celle-ci claironne bien son nom, à l'Assemblée, au gouvernement, à la radio, à la télé, mais comme vont les choses, on n'a plus, vraiment, le sentiment de vivre une transition, et encore moins en démocratie. Ne nous attardons pas sur ce qui se trame à la Constituante. Là, il n'y a même plus accord sur l'essentiel. Sur les libertés, sur le modèle de société. Le pire, peut-être, est que l'on en arrive maintenant à proposer «une loi d'exclusion». Il faudrait que nos juristes constitutionnalistes nous expliquent, en vertu de quelle règle et de quels principes, des candidats aux futures élections auraient le droit d'en exclure d'autres. Une énormité. Non, plus énorme encore est ce qui s'étale sous nos yeux, à l'occasion de «l'affaire» Sami El Fehri et du procès du doyen Kasdaghli. Cela ne concerne, à première vue, qu'un homme de médias et une personnalité universitaire; en vérité, cela en dit bien plus long sur la politique en général et sur ses embrouilles en particulier. Un précédent Le cas de Sami El Fehri n'aurait jamais dû poser problème. D'emblée, de lourdes présomptions pesaient sur le personnage. Il était l'associé de Belhassen Trabelsi. De plus , la «fameuse» émission du 13 janvier 2011 avait révélé au grand jour son empathie pour l'ancien régime. On pouvait le poursuivre. On l'a fait dans un premier temps. Non-lieu. Pouvait-on, dès lors, lui interdire de lancer sa propre chaîne de télévision et de reprendre son travail de producteur et de réalisateur? Non, de toute évidence. A quoi rime-t-il donc, de tout remettre sur la table aujourd'hui ? Moralement, cela n'a plus aucun effet. C'est plutôt l'inverse qui se produit. «Ettounssia» vole dans les sondages, crève l'audimat. Et au regard de l'opinion, le présumé coupable s'est définitivement mû en victime. Juridiquement, ce n'est guère défendable. Voire, cela a débouché sur de véritables suspicions. Ce qui est en cause, désormais, c'est l'indépendance de la justice. Comment expliquer, sinon, ce manège procédural, ces «corrections» de date et ce dossier traité à la hâte ? Comment justifier, surtout, cette lettre anonyme surgie d'on ne sait où, qui pousse un magistrat à «l'abandon», relance artificiellement un procès et prolonge, arbitrairement, une mise aux arrêts ? On ne prend parti ni pour ni contre. On voit simplement venir un précédent. Si une instance judiciaire peut être reportée de la sorte, si sur la base d'une vague lettre anonyme elle peut être interrompue, «dénaturée», c'est que personne d'entre nous tous, ne peut plus se considérer à l'abri. La vraie toile de fond Le procès fait au doyen Kasdaghli n'inquiète pas moins. Plainte d'une étudiante «niqabée» qui affirme avoir reçu une gifle, appuyée par le témoignage de camarades salafistes. Si le recours a été «suggéré» ou non n'a pas grande importance. De même que les liens évidents qui lient une étudiante «niqabée» à des camarades salafistes. Ce qui interpelle le plus, c'est que dans cette affaire, aussi, tout porte à supposer que l'instruction y a ajouté du «sien». De la simple gifle, on est passé à la violence de fonctionnaire. Le doyen Kasdaghli ne doit plus répondre d'un «délit mineur», mais d'un crime grave qui encourt jusqu'à cinq années d'emprisonnement. On a déplacé, d'office, l'accusation, de sorte que l'honorable universitaire, l'intellectuel et l'éducateur «régresse» de statut. Il faisait partie de l'élite, il fait désormais figure de «vulgaire cogneur». On s'interroge, bien sûr. Pourquoi cette hargne? Pourquoi tout ce zèle? On a beau nous sortir des articles de code, «jouer» sur «les arguments» et «les qualifications», on ne peut ne pas faire directement le rapprochement avec les événements strictement politiques, ouvertement idéologiques, qui se sont déroulés il y a quelques mois à la faculté des Lettres de La Manouba. Quoi que prétendent les responsables, ces événements sont la vraie toile de fond du procès Kasdaghli. L'embrouille c'est qu'ils aient pu «échouer» là. Au travers d'une simple plainte de droit commun. Et précisément à l'encontre d'un homme de savoir et de culture auquel ces mêmes responsables avaient clairement reproché des «positions politiques» précises. Et, visiblement, sans que cela n'embarasse ni le pouvoir ni même les juges. Des «ligues révolutionnaires» déjà, et puis maintenant, des «lois d'exclusion», des lettres anonymes et des procès «simulés» : la transition démocratique paraît plus que jamais improbable, plus que jamais menacée. On en a froid dans le dos!