Deux mois durant ou presque, la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba était le théâtre d'événements provocateurs orchestrés par un groupuscule de salafistes, voulant imposer des rites inhabituels à l'enceinte universitaire. Ils ont défendu bec et ongles le port du niqab dans les salles de classe, créant, ainsi, une large polémique. Suite à une spirale de troubles et de violences, les cours ont été suspendus, les examens reportés et des craintes d'avoir une année blanche s'amplifiaient de plus en plus, sans enregistrer aucune intervention sécuritaire ni réaction gouvernementale concrète. Pas plus tard qu'hier, le mouvement salafiste a monté ses enchères d'un cran. Très tôt le matin, alors qu'étudiants et enseignants sont pleinement engagés à passer les examens du premier semestre, une poignée de barbus, assistés par des éléments étrangers à la fac, a semé le trouble au département d'arabe, bombardant les enseignants d'un déluge d'insultes et de propos déplacés. Ces incidents sont survenus suite à l'interdiction à deux étudiantes, portant le niqab, de passer les épreuves d'histoire. C'est ce que nous a affirmé M. Tahar Mennai, vice-doyen, indiquant que cette attaque violente, qui s'est produite à l'heure des examens, a causé de légers dégâts, blessant un fonctionnaire du département. Et pourtant, cela n'a pas eu d'impact sur le déroulement des épreuves. D'autres ont pris d'assaut la grande porte d'entrée de la faculté, envahissant la cour par la force sans se présenter aux gardiens responsables de la sécurité. Selon lui, ces actes d'agression ont eu lieu en réaction à l'interdiction à deux étudiantes portant le niqab de passer leurs examens, sans avoir la face dévoilée. Refusant de s'y soumettre, contrairement à leurs camarades, ces jeunes étudiantes ont été expulsées par les professeurs contrôleurs, considérant que le fait de cacher leur identité au cours des épreuves déroge au simple règlement intérieur du milieu universitaire. Et par conséquent, tout examen pareil est sujet à annulation. «Ou se dévoiler, ou se retirer des cours, la règle est évidente..», précise M. Mennai, soulignant que la situation est devenue insupportable. Car «depuis novembre dernier, ces salafistes sit-inneurs dont la plupart sont étrangers à la faculté ont fait de l'amphithéâtre Ibn-Khaldoun un camp d'hébergement, sans que le ministère de l'Intérieur ne lève le petit doigt», s'indigne-t-il. Et de poursuivre, «d'ailleurs, l'on s'attendait la veille des examens à ce que le sit-in soit définitivement levé, mais hélas, rien n'a été signalé sur ce point». Il a déclaré que personne n'a pu expliquer l'indifférence des autorités publiques et la position molle du ministère de tutelle. Le chef du groupe, M. Mohamed Bakhti, jeune étudiant inscrit en 1ère année histoire, a révélé que cette provocation est à l'origine des positions prises par certains enseignants et agents administratifs à l'égard des étudiantes portant le niqab. Celles-ci, raconte-t-il, ont été interdites, à leur entrée, d'accéder à la salle d'examen, les obligeant à signer un engagement écrit selon lequel elles doivent dévoiler le visage au cours des examens. «Nous sommes intervenus pour trouver un compromis suite auquel elles vont passer les épreuves, tout en montrant le visage à une femme enseignante», a-t-il expliqué. Il a ajouté que cela s'est bien passé comme convenu, sauf que le doyen M. Habib Kazdaghli, est venu pour renvoyer ces étudiantes devant leurs camarades qui ont réagi immédiatement en protestation contre leur expulsion. C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. «C'était, a-t-il encore précisé, le moment où nous avons réagi de la sorte». Imen, jeune étudiante en première année histoire, ainsi que sa camarade Somaya, inscrite en espagnol, toutes deux portant le niqab, ont été, selon elles, l'objet et la cible de cette provocation. Ailleurs, aux quatre coins de la faculté, l'ambiance était studieuse. Chacun était plongé dans ses révisions. Et l'inquiétude se lisait sur les visages. De l'autre côté, un nombre important d'enseignants portant un brassard rouge en signe de protestation et de solidarité, s'est réuni à la salle Hassen Hosni Abdelwaheb. Le secrétaire général du syndicat de base des enseignants, M. Khaled Nouicer, nous a livré la teneur de la réunion, signalant qu'il s'agit d'une rencontre d'évaluation quotidienne de cette session des examens. A la lumière de ce qui s'est passé, les enseignants, encore sous le choc, se sont concertés sur des mesures à prendre. «En l'absence des agents de sécurité, la mission est double: pédagogique et préventive», révèle-t-il. Ils ont convenu qu'il n'est pas question de permettre aux étudiantes portant le niqab de passer les examens. Le cas échéant, l'examen est considéré comme annulé pour trois raisons : non-respect du règlement intérieur, identité non visible et tentative de fraude sous couvert du niqab. «Malgré toute cette provocation, enseignants et étudiants sont mobilisés, tout en restant vigilants, afin de réussir cette session d'examens et mener l'année universitaire à bon port», conclut M. Habib Kazdaghli, doyen de la faculté.