Il faut parler des incidents du Stade de Bizerte. Tout un pays a pu voir. Ce n'était sûrement pas le fait de supporters déçus. C'était plus qu'un assaut de bandes «infiltrées». C'était la démonstration d'une violence «libre» devant une police «démunie». Il faut parler des incidents du Stade de Bizerte car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'une transgression ouverte de l'ordre public dans une absence manifeste de l'autorité. Et cela semble être un point de non-retour. Jamais, durant cette période post-révolutionnaire, les casseurs et les cogneurs n'ont paru plus décidés, plus arrogants, jamais les agents de la sécurité n'ont paru aussi impuissants, aussi résignés. De gros doutes surgissent en fin de compte. Que fait l'Etat ? Que fait la classe politique ? Où en est la police surtout ? Les informations qui nous parviennent (espérons qu'elles sont fausses) insistent sur l'hypothèse d'une «coupure entre le gouvernement et les services de l'Intérieur». L'affaire du tribunal de Sousse, où un groupe de policiers aurait libéré de force un collègue sous le coup d'un jugement, plaide pour la «désobéissance», sinon pour «la mutinerie». La rareté des effectifs dans les villes indique, elle, que les agents de l'ordre rechignent clairement à la tâche. Mais on avance d'autres explications. Comme celle, inquiétante, d'une police qui chercherait à «laisser pourrir la situation pour (ré)imposer sa manière forte». Comme celles, plausibles, d'une police «contrainte à ne pas réagir» ou «intimidée par les organisations des droits de l'homme». La démocratie n'est pas virginale En tout état de cause, la menace de dérive sécuritaire est réelle. Les citoyens ne comprennent plus ce qui les entoure, ni ce qui les attend. La transition révolutionnaire qui approche du dénouement heureux de la Constituante, risque l'issue fatale. Et les incidents de Bizerte viennent sonner l'alerte. Peut-être à temps. Ce qui reste à faire devrait être simple pour le Premier ministre et ses collaborateurs. Il faudra, d'abord, punir les fauteurs. Sans la moindre pitié. Sans la moindre réserve. Un responsable du Club Sportif Sfaxien observait, l'autre soir, que les casseurs et les cogneurs du stade du 15 octobre doivent être traités comme des «traîtres à la patrie». «Ils se sont attaqués à des personnes sans défense, ils ont détruit des biens publics, ce sont des criminels qui «veulent nuire au pays», «qui veulent le déposséder de ses acquis révolutionnaires». C'est «absurdité que d'invoquer les droits de l'homme à leur propos». Il faudra, ensuite, mettre au clair ce que doit être le rôle de la police face à la violence. Dans les pays à démocratie avancée, cette violence est ouvertement stoppée et, si besoin, réprimée. Et avec la bénédiction de l'opinion. Nous entamons, à peine, l'expérience démocratique. Nous demeurons fragiles, entourés d'ennemis a fortiori, nous avons légitimité à nous défendre. Il faudra, enfin, et c'est M.Caïed Essebsi lui-même qui y a appelé dès son investiture, restaurer l'autorité de l'Etat. Et l'autorité de l'Etat, ce n'est pas seulement veiller aux dossiers de l'économie, ou arbitrer des conflits politiques et sociaux, c'est aussi avoir de la poigne quand les lois de la République sont bafouées, quand la paix civile est menacée. L'idée que la démocratie doit rester en toute circonstance, «virginale» est une dangereuse utopie. Pas moins que celle, répandue parmi les illuminés de la révolution, qui considère que le désordre va de pair avec la liberté. Le moment est venu d'en finir avec ces «jérémiades» de salon. A Bizerte, ce dimanche, et pendant des heures, nous avons eu, tous, le sentiment que la Tunisie n'avait plus ni «prince» ni «gardiens». Totalement livrée à son sort , et au bon vouloir des délinquants et des bandits. Nous avons, tous, besoin que nos gouvernants se remettent aux commandes pour nous épargner cette perdition, et ce désarroi. Nous n'avons, surtout, nul besoin de regretter la sombre époque de Ben Ali.