Par Abdelhamid GMATI Les événements tragiques survenus à Siliana, cette semaine, ont permis de préciser le niveau de compétence de ces gens qui nous gouvernent. Quand on se trouve en charge d'un Etat, on doit savoir gérer, voire prévenir, les crises. Comment nos gouvernants ont-ils réagi à cette crise qui a occasionné des centaines de blessés qui ne faisaient qu'exprimer leurs revendications, somme toute légitimes? - D'abord, il y a le chef du gouvernement qui s'est attribué tous les pouvoirs et qui, au cours de deux interventions, n'a fait qu'attiser le courroux de toute la population. Dire que le terme «dégage» n'a plus sa raison d'être, c'est d'abord oublier que c'est ce «dégage» qui lui a permis de sortir de l'ombre et d'être à son poste actuel ; ensuite, c'est vouloir faire taire le peuple et lui nier son droit à exprimer sa volonté. Un gouvernant, aussi légitime qu'il soit (ce qui n'est plus le cas depuis le 23 octobre), ne peut se substituer à la volonté populaire ni à sa souveraineté. Il a, par contre, le devoir d'être à l'écoute de la population et s'efforcer de satisfaire ses demandes. Même lorsqu'il n'est pas toujours possible d'y satisfaire, il y a des manières de l'expliquer et de convaincre. Dire à des milliers de personnes en colère contre un gouverneur qui ne les écoute pas que «le gouverneur de Siliana ne sera pas limogé même s'il faut que je quitte le gouvernement avant lui» est d'une suffisance intolérable. Et si le peuple l'écoutait et accédait à sa demande et exigeait son départ, le pays se trouverait-il orphelin d'un dirigeant irremplaçable ? Pour lui répondre, les habitants de Zarzis l'ont prié de dégager. Partirait-il ou se comporterait-il en despote ? C'est là qu'on mesure les vrais hommes d'Etat. Visiblement ce n'est pas le cas. - Puis il y a cet autre qui a la charge de la sécurité du pays et qui en guise de sécurité des citoyens, n'avait en tête que celle des bâtiments et a donné l'ordre à ses agents de tirer sur les manifestants. Certes, il a pêché par ignorance : pour lui la chevrotine (dont l'usage est interdit dans plusieurs pays sauf au Qatar) fait mal et ne tue pas. Les centaines de blessés dont certains ont perdu totalement ou partiellement la vue, ont certainement apprécié. Les journalistes blessés, dont l'envoyé spécial d'une télévision étrangère dont on a extrait 14 plombs et qui en gardera d'autres à vie, peuvent attester que la chevrotine ne fait pas seulement mal, elle peut tuer. Peut-être que les forces de l'ordre ont confondu les grives et les merles, qu'on chasse habituellement avec du plomb, avec les manifestants de Siliana. Au lieu de préserver l'ordre et la sécurité publics, ils ont préféré remplir les hôpitaux. - Il y a aussi cet autre ministre des Droits de l'Homme qui se soucie, lui aussi, des bâtiments et accuse les manifestants d'avoir, par leur comportement, attiré sur eux les tirs de chevrotine. Pour lui, le gaz lacrymogène et la matraque ne suffisent pas à disperser une foule, il faut tirer à la chevrotine et pourquoi pas à balles réelles. Une excellente défense des droits de l'Homme qui estime que la vie, la santé de l'homme passent après la sécurité d'un poste de police. - N'oublions pas, en passant, ce gouverneur qui affirme que les manifestants ont utilisé des pierres «importées». On ne savait pas que Siliana a des pierres spécifiques. Et peut-il nous expliquer la différence entre des pierres de Siliana et celles de Béja ? La question qui devrait lui être posée serait de savoir comment il va pouvoir accomplir son travail avec une population qui lui est hostile et qui, de ce fait, ne collaborera pas. - Et puis, il y a ces députés nahdhaouis et leurs alliés, qui n'ont aucune commisération pour les victimes et qui lancent des accusations envers tous les opposants. Une députée va jusqu'à affirmer que c'est Kamel Letaïf qui est derrière les événements de Siliana. Et bien sûr la rengaine du complot, des forces contre-révolutionnaires, des partis de gauche, les réactionnaires, les Rcdéistes, etc. On peut se dire que si les Rcdéistes et les autres partis avaient un tel pouvoir de mobilisation des foules, partout dans le pays, qu'attendent-ils pour fomenter une autre révolution ? Dans leur indécence, certains ont poussé l'outrecuidance jusqu'à railler l'un de leur confrère qui s'était ému jusqu'aux larmes de la tragédie à Siliana. Un autre a lié les violences à Siliana à la présentation du projet «d'immunisation politique» qui vise à priver arbitrairement et illégalement des milliers de citoyens de leurs droits civiques et politiques, au prétexte d'avoir adhéré à l'ex-parti du dictateur. Si c'était le cas, cela profiterait plutôt aux fomenteurs du projet qui n'ont pas hésité à culpabiliser les Rcdéistes. - Dans tout ce foutoir, le président de l'Assemblée reste muet. Seul le président de la République a tenté d'apaiser les tensions. Mais ses propositions suffiront-elles à apaiser le courroux de la population qui, partout dans le pays, s'est solidarisée avec les manifestants de Siliana. On attend en vain un homme d'Etat qui sache rallier la population et œuvrer pour ses intérêts en étant surtout à l'écoute. Ce qui visiblement n'est pas le cas de ces gens-là.