Par Hamma HANACHI La signature n'est pas étrangère au commun des mortels, «Z», elle cache un personnage, justicier masqué, qui défend la veuve et l'orphelin. Deux tagueurs, Sami Bouajila, étudiant en droit, et Chahine Berrich, enseignant à l'Institut des Beaux-Arts de Gabès, se sont approprié cette dernière lettre de l'alphabet pour l'accoler non pas au nom du justicier mais à «Zwawla». Ils sont de Gabès, n'appartiennent pas à une catégorie d'artistes et ne figurent pas dans la liste d'une écurie ou d'une galerie d'art mais ils portent des idées généreuses parmi lesquelles, donner au pauvre, au sans-grade, au zawali, la possibilité de savoir, de s'informer. Or, s'il n'y a pas un huissier notaire, il se trouve toujours un juge qui ne voit pas la chose du même œil et qui les poursuit en justice: atteinte à l'ordre public, divulgation de fausses informations, dégradation de bien d'autrui, on connaît la chanson, ce qui leur vaut de comparaître devant le juge, hier mercredi. Cette nouvelle affaire contre l'art résonne comme un écho et rappelle celle d'Al Abdellia qui a fait grand bruit dans le pays et en dehors. Samedi 1er. Rencontre de presse organisée par le Syndicat des Métiers d'Arts plastiques (Smap). Silence épais et atmosphère de deuil, peu de monde en salle, des jeunes motivés et apparemment combatifs, trop peu de journalistes, presque pas d'artistes ni de galeristes, l'enthousiasme des jours de combat a-t il faibli ? Les deux jeunes tagueurs, calmes et décidés, expliquent les actes pour lesquels ils sont poursuivis, réfutent les accusations et mentionnent au passage leurs nombreux soutiens: société civile, avocats, Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme, Amnesty International, le Syndicat national des journalistes tunisiens, le Smap, etc. Aucune plainte de citoyens n'est arrivée au juge, aucun mur ni support privé n'a été tagué, insistent-ils, nous avons écrit seulement sur les espaces publics, nos messages s'adressent à tous ceux qui ne disposent pas d'Internet, les chômeurs, les marginaux et autres oubliés de la société. On nous accuse d'écrire des messages sans autorisation. Une autorisation ? Aux premiers mois de la Révolution, un artiste de notoriété internationale, qui avance caché aussi, sous les initiales JR et travaille dans des zones de tension, a rempli les espaces de Tunis à Bab Bhar, les murs de la Karaka et du commissariat à La Goulette, de portraits de Tunisiens des villes et des régions, de toutes catégories, de tous âges, en noir et blanc. Faire rencontrer les uns et les autres, tel est son but. A Jérusalem, il a réalisé une opération appelée Face2Face pendant laquelle il a rencontré des anonymes des deux côtés du mur, il a exposé les photographies des Palestiniens et des Israéliens sur les deux faces du mur. Dans l'une des interviews (Beaux Arts Magazine), à la question s'il demandait des autorisations pour photographier, il répond «Je ne demande aucune autorisation car cela conduirait à renoncer au projet». Et il n'y a pas que JR, sur la liste des tagueurs dans le pays, qu'on se rappelle le temps héroïque où la Kasbah et ses environs s'étaient transformés en une immense «cimaise» au service de la cause révolutionnaire. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? On ne s'attardera pas sur la naissance du tag ou graffiti, son histoire, son message social ou politique, le milieu urbain où il s'est développé, son côté transgressif, son expansion de par le monde, sa récupération par les pouvoirs publics. Bref, le tag est devenu depuis des décennies un art accepté par les pouvoirs et la société. Nos deux tagueurs ont eu ce besoin irrépressible d'exprimer leurs sentiments, sans calcul, car un artiste n'a pas le choix, son art, sous quelque forme qu'il se présente, s'impose à lui. Jours de tristese Siliana. L'image du pays en prend un autre coup, sérieux. Un soulèvement, une manifestation pacifique pour le départ du gouverneur, qui dégénère, violences policières, usage d'armes dangereuses, des centaines de blessés, des citoyens éborgnés, des explications indigestes, risibles de la part des responsables. Cinq jours de tristesse, de résistance, de solidarité entre les citoyens. Point fort. Décidément, la révolution tunisienne ne finira pas de nous séduire. Une expression inédite, originale dans la grande histoire des manifestations : l'exode volontaire d'un peuple laissant un territoire fantôme au gouverneur indésirable. Ce n'est plus une marche, des revendications, c'est digne d'une tragédie grecque. L'Histoire retiendra.