Le 5 décembre 2012, comparaitront devant le tribunal, deux jeunes tunisiens originaires de la ville de Gabès. Leur crime : illustrer par le biais de leurs tags les maux de la classe sociale la plus défavorisée. Or, les autorités locales de Gabès ne le voyaient pas de cet œil. Selon eux, ces deux jeunes gens devront être accusés de viol de l'état d'urgence, de propagation de fausses informations et d'atteinte à l'ordre public. Eux, ce sont Oussema Bouagila et Chahine Berrich, deux membres du groupe de «Zwewla» (les misérables), qui est composé de jeunes artistes spécialisés dans l'art du graffiti. Un genre artistique qui a été interdit du temps du régime défunt et qui renaîtra de ses cendres le lendemain du 14 janvier. L'art mural est tel que plusieurs manifestations culturelles à l'échelle nationale et internationale rendent hommage à la floraison de ces formes artistiques qui prennent pour toile de fond les murs et murailles des zones rurales ou urbaines pour seul but d'exprimer la misère humaine qui se cache dans les entrailles de la ville comme dans la campagne. Or, en cette fin d'année 2012, il semble qu'il n'est plus permis, en Tunisie, d'exposer et d'exhiber à la société et au monde la misère dans laquelle sombre à vue d'œil le Tunisien moyen et le citoyen pauvre. La preuve en est ! On convoque et on traîne en justice les tagueurs.
Retour sur un fait
On était le samedi 3 novembre 2012, nos deux jeunes artistes étaient sortis effectuer quelques graffitis sur la façade de l'ISET Gabès. Oussema Bouagila et Chahine Berrich, menus de leurs pompes à retouches et leurs poussoirs étaient en train d'auréoler les murs par des graffitis porteurs de messages percutants pour sensibiliser l'opinion publique et le gouvernement quant au dénuement outrageux dans lequel vit le Tunisien le plus défavorisé. Vers 23h30, une patrouille policière remarque les deux jeunes Oussema et Chahine. La voiture de police fonce sur eux. Ces deux derniers apeurés prennent la poudre d'escampette. Le lendemain, le père de Chahine est allé au district de Gabès demandant à ce qu'on lui rendre la motocyclette de son fils. On la lui rendit tout en lui demandant prestement à ce que sa progéniture et son ami Oussema se présentent au district. Sur place, nos deux jeunes tagueurs se trouvent au cœur d'un interrogatoire qui revêt la forme d'un procès verbal et d'enquête. Pour avoir de plus amples éclaircissements, nous avons contacté Oussema Bouagila qui nous confia : «au poste de police, l'agent nous a rassuré en ajoutant qu'il ne s'agit nullement de poursuite judiciaire, en prétextant être intéressé par cette nouvelle expression artistique qui éclot à Gabès. Après avoir noté nos propos, il nous demanda de signer. S'ils ont rendu la moto à Chahine, tout le matériel de tag est toujours confisqué. A notre grande surprise, 24 heures plus tard, une convocation en bonne et due forme est envoyée à chacun de nous !»
Le Street Art est de nouveau prohibé
Chahine et Oussema sont convoqués le lendemain par le procureur de la République pour comparaitre devant le tribunal. En effet, après avoir enquêté avec eux, les autorités locales ont vu dans cette forme d'expression artistique, non pas un moyen libérateur des misères ressenties par les jeunes mais une menace à l'ordre public ! On ne rigole plus. L'art, peu importe la forme qu'il prend ou la noblesse du message qu'il envoie, il dérange. Pour s'en débarrasser, il faudra le condamner. Il est judicieux de noter que les tags qui étaient effectués sur les murs portaient les messages suivants : «Zaoueli fi tounes meyet 7ay» (le pauvre en Tunisie est un mort-vivant), «Zaoueli taleb frich» (le pauvre demande la justice sociale) ou encore «chaab yourid 7a9 zaoueli» (le peuple réclame le droit du pauvre). Choqué et interloqué, notre jeune interlocuteur exprima au Temps son étonnement face à cette volte-face des autorités : «On est encore en état de choc ! Nous ne faisions qu'exprimer ce que nous ressentons face à la misère de la classe tunisienne démunie ! On n'a ni exhorté les gens à la haine, ni à la violence. Nos graffitis ne comportent en aucun cas des messages violents et qui encourageraient même indirectement les citoyens à brûler ou à casser. Notre seule devise est que l'art ait une mission sociale et qu'il exprime le mal-être des défavorisés. Pour ces raisons-là, nous sommes traités comme des criminels ou des énergumènes ! Est-ce devenu un crime que de s'exprimer «dans les règles de l'art»?»
Désormais, prohibé, l'art de la rue n'a plus lieu d'être en cette nouvelle Tunisie. Il est même condamné, alors qu'en l'Occident, on ouvre grand ouverts les bras aux tagueurs tunisiens à travers des manifestations culturelles. Nous citerons l'exemple de l'évènement qui a eu lieu ces 18 et 22 septembre 2012, la semaine culturelle tunisienne à Paris sous le thème «Arabic Graffiti» organisée par l'association « TunAction». Par ici, illustrer à travers les graffitis les maux et les élucubrations sociaux est un crime qui doit être sanctionné par la loi. On accuse nos jeunes tagueurs de graffiter sans autorisation sur les murs de bâtiments publics, de violer l'état d'urgence et de propager de fausses informations portant atteinte à l'ordre public Leur première audience est prévue pour le 5 décembre prochain. Un comité de défense est en train de s'organiser. Pour l'instant, il est composé par la LTDH, Amnesty International, nombre d'avocats de défense l'instar de Radhia Nasraoui, Abdennasser Aouini, Abdessatar Ben Moussa et plusieurs artistes et rappeurs tunisiens comme Bendir Man.